Sara Bazin, Physicienne adjointe à Geo-Ocean et DA Observation à l’IUEM
Que faisais-tu avant de venir à l’IUEM ?
J’ai suivi une formation d’ingénieur à l’IST, qui a ensuite été rebaptisé Polytech Sorbonne. Mon domaine d’études portait sur la géophysique et la géotechnique, bien que j’ai rapidement identifié ma préférence pour la géophysique. C’est pourquoi j’ai décidé de faire mes stages d’études à Ifremer, où j’ai eu l’opportunité de travailler avec des experts tels que Bruno Marsset et Jacques Meunier.
Par la suite, j’ai effectué ma thèse à l’Institut océanographique Scripps à San Diego, axée sur l’étude des dorsales océaniques à l’aide de la sismologie marine. J’ai eu l’opportunité de travailler avec John Orcutt, pionnier dans le développement des sismomètres fond de mer (OBS). Il a conçu l’idée novatrice de déployer des OBS autour des dorsales et d’effectuer des tirs sismiques, afin d’évaluer les champs de vitesse pour en déduire la structure de la chambre magmatique de la dorsale ; c’est ce qu’on appelle la tomographie sismique. J’ai participé à la mise en œuvre de cet outil en mer et j’ai analysé les données pour obtenir des images du sous-sol. J’ai particulièrement axé mes recherches sur la dorsale du Pacifique, et j’ai soutenu ma thèse en 2000.
Lors mon post-doctorat Marie Curie à l’université de Cambridge, j’ai utilisé une autre façon de faire de la sismique. Nous avons tracté derrière le bateau une flûte sismique pour acquérir un cube en 3D, inspirée des méthodes d’exploration des compagnies pétrolières. Cela nous a permis d’imager de manière plus fine la chambre magmatique de la dorsale océanique. Cette méthode nous a aidé à illustrer les zones du toit de la chambre qui sont complètement liquides et que nous n’avions jamais pu voir auparavant.
Après un an de post-doctorat, j’ai été recrutée à l’IPGP (Institut de Physique du Globe de Paris) au sein du laboratoire Géosciences Marines. Mon rôle était de développer les géosciences marines dans les observatoires volcanologiques et sismologiques des Antilles. En 2003, j’ai été affectée à l’observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe (OVSG). Sur place, j’ai participé à l’étude et à la gestion de la crise sismique des Saintes en 2004, qui demeure le séisme ayant causé le plus de dégâts en France au cours des dernières décennies. Mon approche impliquait le déploiement d’OBS autour de la zone de rupture.
En 2005, j’ai pris la direction de l’OVS de la Martinique, et au cours des 6 années aux Antilles, j’ai été témoin de petits tsunamis, ce qui m’a sensibilisée à ce risque. En 2009, j’ai obtenu le droit d’effectuer une année sabbatique pour me former à cette problématique, à Oslo, en Norvège. J’ai adoré la vie norvégienne et j’ai décidé d’y rester. L’institut qui m’accueillait m’a proposé un poste, que j’ai tout de suite saisi ; pour cela je me suis mise en disponibilité pour raison familiale afin d’y rester.
Mon séjour en Norvège s’est poursuivi jusqu’en 2019 quand j’ai souhaité réintégrer la recherche française, et c’est ainsi que j’ai rejoint l’IUEM.
Pourquoi as-tu choisi l’IUEM ?
Je connaissais le site depuis mes stages d’études en 1993 et 1994 à Ifremer. J’avais beaucoup plongé dans la rade de Brest et j’appréciais particulièrement la région. Je voulais définitivement travailler dans le domaine marin, et je ressentais une certaine frustration d’être à Paris. L’IUEM me semblait être l’endroit idéal pour reprendre mes recherches en géophysique marine. J’ai eu la chance, au moment où je souhaitais rentrer en France, de me rapprocher de Jean-Yves Royer, avec qui j’avais embarqué lors des campagnes SIRENA en 2002 et 2003. Jean-Yves m’a généreusement invité à intégrer son équipe et à utiliser son parc d’instrumentation. Je suis reconnaissante d’avoir eu cette opportunité de collaboration qui m’a permis de m’impliquer dans des projets intéressants dès mon arrivée à Brest en 2019.
Que fais-tu à l’IUEM ?
Le statut corps national des astronomes et physiciens (CNAP) octroie 3 fonctions : Enseignement, recherche et observation. J’enseigne essentiellement en Master SML et au département de physique à l’UBO. J’encadre également des stagiaires et 3 doctorants en ce moment.
Ma recherche consiste à utiliser des réseaux d’hydrophones immergés sur des mouillages pour enregistrer les sons qui se propagent en pleine eau. Il y a plein de sources différentes (bateaux, séismes, éruptions volcaniques, icebergs…). Jean-Yves a maintenu le réseau OHASISBIO pendant 13 années et j’ai remarqué des signaux particuliers que nous avons par la suite interprétés comme le bruit généré par des coulées de lave avec notre doctorant Vaibhav Ingale. En 2018, il y a eu une crise importante à Mayotte avec beaucoup de sismicité. Un volcan a poussé à 50 km au large de l’île et nous avons déployé 4 hydrophones autour de ce nouveau volcan sous-marin. Dans le cadre des campagnes MAYOBS, nous y retournons tous les ans pour remonter les mouillages, changer les piles, et récupérer les données. Grâce à cela, nous avons pu retracer comment l’éruption s’est déroulée, où se situaient les coulées de lave et quand elles se sont arrêtées. On enregistre également les sons générés par les mammifères marins et nous avons découvert 4 espèces différentes de baleines au large de Mayotte. Un doctorant, Richard Dréo étudie la saisonnalité de ces espèces. Nous avons pu donner leurs saisons de présence au Parc Naturel Marin, ces données sont importantes pour l’étude de la biodiversité de Mayotte.
Tous ces instruments génèrent des quantités importantes de données traitées à la main jusqu’à présent. Mon doctorant, Pierre-Yves Raumer, a commencé à développer des outils de traitement massif grâce à l’IA ; ainsi nous espérons gagner en rapidité et être plus efficace.
J’ai toujours été très impliquée dans les observations. En poste dans les observatoires volcanologiques, je me suis rendue compte de l’intérêt de croiser les observations de différentes disciplines. C’est souvent grâce à une approche interdisciplinaire que l’on arrive à comprendre certains processus. Et moi, je n’aime pas travailler seule dans mon coin, sur un sujet bien délimité, j’ai besoin de partager. L’IUEM est un outil formidable pour développer de l’interdisciplinarité et partager ce que l’on observe. Fred Jean m’a proposé de rejoindre l’équipe de direction. J’ai accepté pour l’assister dans son beau projet « de construire ensemble des communs ».
As-tu des anecdotes professionnelles à nous raconter ?
En Guadeloupe, la semaine dernière, j’ai retrouvé un collègue et nous nous sommes rappelés le séisme de 2004. Nous avions énormément de travail à l’observatoire pour suivre toute cette sismicité en cours. J’avais fait venir des OBS de Paris et je cherchais des volontaires pour m’aider à les mettre à l’eau. Je l’ai embarqué car il me disait ne pas avoir le mal de mer. Mais à peine monté, il est devenu vert et a vomi toute la mission. Il n’avait jamais navigué… La semaine dernière il m’a avoué qu’il ne m’en voulait pas, mais qu’il ne remontera plus jamais sur un bateau. C’est dommage pour un îlien.
Quel est ton plus beau souvenir de boulot ?
Un souvenir mémorable de la campagne MAYOBS : elle a permis de découvrir un nouveau volcan et nous avons déployé une caméra tractée pour capturer des images des fonds marins. Lors de cette exploration, nous sommes passés au-dessus d’une coulée de lave, nous permettant ainsi de capturer des images rares de la lave chaude se déversant dans la mer.
Quels sont tes centres d’intérêt ?
J’aime plonger dans les différentes régions que je visite. Le bonheur ultime est de pouvoir plonger en famille. J’ai moins le temps maintenant mais j’essaie de passer du temps dans la mer, comme de faire de l’aquagym entre copines toutes les semaines, et été comme hiver.
As-tu une devise ?
C’est une expression créole « Tchimbé raid pa moli » qui signifie « Tiens bon, mollis pas ».
Pour dire ne lâche rien et tiens le coup !
Crédit photos
Bernd Etzelmüller / Université d’Oslo
Louise Garin
Valérie Ballu / LIENSs
Contact
Sara Bazin / CNAP