Réseau côtier français pour la surveillance des systèmes carbonatés : le jeu de données CocoriCO2

Résumé
Depuis le début de la révolution industrielle, les concentrations de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère n’ont cessé d’augmenter et ont entraîné une diminution du pH moyen des océans de surface de 0,1 unité, ce qui correspond à une augmentation de l’acidité des océans d’environ 30 %. Outre le réchauffement des océans, l’acidification des océans représente un défi considérable pour certains organismes marins, en particulier les calcificateurs. La nécessité d’effectuer des observations océaniques à long terme du pH et de la température est un élément clé pour évaluer la vulnérabilité des communautés et des écosystèmes marins à ces pressions. On sait que les environnements productifs proches des côtes, où se déroulent la plupart des activités de conchyliculture, présentent des niveaux de pH ainsi que des amplitudes de variations quotidiennes et saisonnières beaucoup plus importantes que celles observées en haute mer. Pourtant, à ce jour, il existe très peu de sites d’observation côtiers où ces paramètres sont mesurés simultanément et à haute fréquence.

Pour combler cette lacune, un réseau d’observation a été initié en 2021 dans le cadre du projet CocoriCO2. Six sites ont été sélectionnés le long des côtes françaises de l’Atlantique et de la Méditerranée en fonction de leur importance en termes de production de coquillages et de la présence d’activités de surveillance à haute et basse fréquence. Sur chaque site, des capteurs autonomes de pH ont été déployés, à l’intérieur et à l’extérieur des zones de production de coquillages, à côté de sondes CTD (conductivité-température-profondeur) à haute fréquence exploitées par deux réseaux de surveillance opérationnels. Les capteurs de pH ont été réglés sur un taux d’acquisition de 15 minutes et des échantillons discrets d’eau de mer ont été prélevés toutes les deux semaines afin de contrôler la qualité des données de pH (mesures spectrophotométriques en laboratoire) ainsi que de mesurer l’alcalinité totale et les concentrations de carbone inorganique dissous pour une caractérisation complète du système de carbonate. Alors que ce réseau fonctionne depuis plus de deux ans, les données acquises ont déjà révélé d’importantes différences en termes de variations de pH entre les sites surveillés, liées à l’influence de divers processus (apports d’eau douce, marées, température, processus biologiques). Les données sont disponibles sur https://doi.org/10.17882/96982 (Petton et al., 2023a).

 

Figure 1

Emplacement des sites de surveillance à haute fréquence (points bleus) du réseau CocoriCO2. Les points roses et verts indiquent les stations basse fréquence SOMLIT et REPHY, respectivement, à partir desquelles les données sur les nutriments ont été acquises.

 

Conclusion et état actuel du réseau

Le réseau initié en 2021 sur le littoral français a fourni des données essentielles pour l’évaluation de la dynamique de la chimie des carbonates à différentes échelles temporelles et dans des sites côtiers contrastés (sites conchylicoles proches du rivage vs. sites non conchylicoles plus soumis à des conditions océaniques). Le grand nombre de sites et la couverture géographique du réseau nous ont déjà permis d’évaluer l’influence de divers processus physiques, chimiques et biologiques (apports d’eau douce, marées, température, processus biologiques), que nous avons brièvement présentés dans le présent article. L’ensemble des données acquises sera sans aucun doute d’un grand intérêt pour le public et les communautés scientifiques à l’avenir, car notre choix de baser notre réseau sur des activités de surveillance existantes a non seulement permis de fournir des données fiables à un taux d’acquisition très élevé et à un coût financier moindre, mais il permet également de s’appuyer sur des ensembles de données à basse fréquence existants (chlorophylle, nutriments, concentrations de matière organique, etc. Cependant, l’acquisition autonome de séries temporelles à proximité de la conchyliculture pose un certain nombre de problèmes, principalement liés à l’intense pression exercée par le biofouling. Cela explique la plupart des données invalidées même en employant des protocoles de nettoyage manuel bimensuels, ce qui nécessitera à l’avenir le développement de solutions anti-salissures actives et efficaces qui sont actuellement en cours de développement (chloration localisée, essuie-glace adapté) dans le cadre de notre projet. De plus, la technologie SeaFET est relativement nouvelle par rapport aux capteurs de température ou de conductivité plus conventionnels. Nous avons rencontré des disparités au sein de l’ensemble des sondes acquises, certaines électrodes fonctionnant mal après seulement quelques mois de déploiement, alors que le fabricant Sea-Bird indique une durée de vie minimale d’un an. Pour compliquer les choses, un autre problème est apparu à partir de juin 2022 : le service de maintenance du SeaFET a été suspendu en raison d’une pénurie du composant DuraFET. Alors que le service reprendra apparemment à la fin de 2023, cette interruption a déjà entraîné des lacunes temporelles dans les données de la série chronologique. En outre, l’évaluation de nouveaux capteurs est en cours dans le but d’améliorer la fiabilité et la précision des données déjà collectées.

 

Référence

Petton, S., Pernet, F., Le Roy, V., Huber, M., Martin, S., Macé, É., Bozec, Y., Loisel, S., Rimmelin-Maury, P., Grossteffan, É., Repecaud, M., Quemener, L., Retho, M., Manac’h, S., Papin, M., Pineau, P., Lacoue-Labarthe, T., Deborde, J., Costes, L., Polsenaere, P., Rigouin, L., Benhamou, J., Gouriou, L., Lequeux, J., Labourdette, N., Savoye, N., Messiaen, G., Foucault, E., Ouisse, V., Richard, M., Lagarde, F., Voron, F., Kempf, V., Mas, S., Giannecchini, L., Vidussi, F., Mostajir, B., Leredde, Y., Alliouane, S., Gattuso, J.-P., and Gazeau, F.: French coastal network for carbonate system monitoring: the CocoriCO2 dataset, Earth Syst. Sci. Data, 16, 1667–1688

https://doi.org/10.5194/essd-16-1667-2024, 2024.

Les micro-nanoplastiques issues de la perliculture affectent la physiologie des huîtres et la qualité des perles

Résumé

La perliculture est cruciale pour l’économie de la Polynésie française. Les structures d’élevage majoritairement en plastique contribuent à la génération de déchets plastiques dans les lagons où la perliculture est pratiquée. La contamination en microplastiques y suscite donc des inquiétudes quant aux risques pour l’industrie perlicole. Cette étude visait à évaluer les effets des micro- et nanoplastiques (MNP, d’une taille comprise entre 0,4 et 200 μm) sur l’huître perlière Pinctada margaritifera au cours d’un cycle de production de perles de 5 mois. Les MNP ont été produits à partir de matériels plastiques de perliculture usagés. Les huitres ont été exposées en laboratoire à deux concentrations dont une concentration environnementale pertinente (0,025 et 1 μg / litre d’eau de mer). Les réponses des huîtres à la contamination micro et nanoplastique ont mis en évidence des effets même à la faible concentration. Des changements dans le métabolisme énergétique principalement dus à une diminution des capacités digestives des animaux exposés (notamment en termes d’assimilation des microalgues) ont été observés en lien avec une modification de l’expression de gènes. L’activité d’un groupe de gènes est apparue liée aux paramètres écophysiologiques affectés par l’exposition aux MNP. Ces gènes sont des indicateurs du stress lié aux plastiques à tester dans la nature d’autant plus que des effets plus importants pourraient survenir dans des conditions naturelles considérant la nature oligotrophe des écosystèmes lagunaires bien plus faibles en approvisionnement alimentaire qu’expérimentalement dans cette étude. Enfin, la biominéralisation des perles est apparue perturbée chez les huîtres exposées, avec une diminution de l’épaisseur des cristaux d’aragonite et la présence de concrétions biominérales anormales, connues sous le nom de perles keshi, soulevant des inquiétudes quant à l’impact potentiel à long terme sur l’industrie perlière polynésienne.

 

Résumé graphique


Mots-clés

huître perlière ; exposition aux micro-nanoplastes ; scénarios environnementaux ; écophysiologie ; métabolisme énergétique ; génomique fonctionnelle ; cycle de la perle

 

Référence

Gardon, Tony, Jeremy Le Luyer, Gilles Le Moullac, Claude Soyez, Fabienne Lagarde, Alexandre Dehaut, Ika Paul-Pont, et Arnaud Huvet. « Pearl Farming Micro-Nanoplastics Affect Oyster Physiology and Pearl Quality ». ENVIRONMENTAL SCIENCE & TECHNOLOGY 58, no 1 (9 janvier 2024): 207‑18. https://doi.org/10.1021/acs.est.3c06684.

Mercure hydrothermal : l’histoire naturelle d’un contaminant

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Notre collègue Hélène Planquette a participé à une étude internationale coordonnée par le CNRS visant à estimer la contribution des sources hydrothermales au stock de mercure présent dans les océans.

Cette étude vient d’être publiée dans la revue Nature Geoscience et fait l’objet d’un communiqué du CNRS :

Une équipe internationale de chercheurs, coordonnée par le CNRS (voir encadré), a établi la première estimation mondiale des émissions hydrothermales de mercure (Hg) provenant des dorsales médio-océaniques. La Convention de Minamata sur le mercure de l’ONU vise à réduire l’exposition humaine au mercure toxique à travers la réduction des émissions anthropiques. Nous sommes principalement exposés via la consommation de poissons qui bioaccumulent le Hg de l’océan. Le paradigme actuel est que les émissions anthropiques de mercure (actuellement 3 100 t an-1) sont à l’origine de l’augmentation du réservoir océanique mondial de mercure de 21 %. Cette estimation est erronée car nous ne savons pas quelle quantité de mercure naturel résidait dans l’océan avant le début des émissions anthropiques.

Nous ne sommes également pas en mesure de quantifier l’impact des émissions anthropiques sur les niveaux de Hg chez des poissons. L’hydrothermalisme est la seule source directe de Hg naturel vers l’océan. Des études antérieures, basées uniquement sur les mesures des fluides hydrothermaux, suggéraient que les apports du Hg hydrothermal pourraient se situer entre 20 et 2 000 t an-1. Cette nouvelle étude a utilisé, en plus des mesures de fluides, des mesures de panaches hydrothermaux, d’eaux de mer et de carottes de roches provenant de la source hydrothermale Trans-Atlantic Geotraverse (TAG) sur la dorsale médio-atlantique.

La combinaison des observations suggère que la majorité du Hg enrichi dans les fluides, serait diluée dans l’eau de mer et qu’une petite fraction précipiterait localement. Une extrapolation des résultats indique que le flux hydrothermal global de Hg provenant des dorsales médio-océaniques est faible (1,5 à 65 t an-1) par rapport aux missions anthropiques de Hg. Bien que cela suggère que la majeure partie du Hg, présent dans l’océan, est d’origine anthropique, cela laisse également espérer que la mise en œuvre stricte des réductions d’émissions, dans le cadre de la Convention de Minamata, réduira les niveaux de mercure des poissons et l’exposition des humains.

 

Référence de l’article :

Torres-Rodriguez, N., Yuan, J., Petersen, S. et al. Mercury fluxes from hydrothermal venting at mid-ocean ridges constrained by measurementsNat. Geosci. (2023).

L’océan stockerait davantage de carbone qu’estimé dans les précédentes études

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Notre collègue Frédéric Le Moigne a participé à une étude internationale sur l’efficacité de la pompe océanique de carbone. Cette étude publiée cette semaine dans le journal Nature réévalue à la hausse la capacité de stockage de carbone dans l’océan, notamment par la « neige marine ». Cette publication a fait l’objet d’un communique de presse du CNRS :

L’océan a une capacité de stockage du dioxyde de carbone atmosphérique près de 20% supérieure aux estimations présentées dans le dernier rapport du GIEC. C’est ce que révèle l’étude, à paraître dans la revue Nature le 6 décembre 2023, menée par une équipe internationale comprenant un biologiste du CNRS. Les scientifiques se sont penchés sur le rôle que joue le plancton dans le transport naturel du carbone depuis la surface vers les fonds marins.

En effet, friand de ce gaz qu’il transforme grâce à la photosynthèse en tissus organiques au cours de son développement, une partie du plancton se transforme en particules marines en fin de vie. Plus dense que l’eau de mer, cette « neige marine » coule dans les fonds marins stockant du carbone, et constitue également une ressource de nutriments essentiels pour de nombreuses créatures des profondeurs, depuis les minuscules bactéries jusqu’aux poissons de grands fonds.

En se basant sur l’étude d’une banque de données collectées sur l’ensemble du globe depuis les années 1970 à l’aide de navires océanographiques, l’équipe de sept scientifiques a pu cartographier numériquement les flux de matière organique de l’ensemble des océans. La nouvelle estimation de capacité de stockage qui en résulte s’élève à 15 gigatonnes par an, soit une augmentation d’environ 20% par rapport aux précédentes études (11 gigatonnes par an) rapportées par le GIEC dans son rapport de 2021.

Cette réévaluation de la capacité de stockage des fonds marins représente une avancée significative dans la compréhension des échanges de carbone entre l’atmosphère et l’océan au niveau planétaire. Si l’équipe souligne que ce processus d’absorption s’opère sur des dizaines de milliers d’années, et qu’il n’est donc pas suffisant pour contrebalancer l’augmentation exponentielle d’émissions de CO2 engendrée par l’activité industrielle mondiale depuis 1750, cette étude renforce néanmoins l’importance de l’écosystème océanique en tant qu’acteur majeur dans la régulation du climat planétaire à long terme.

Distribution globale du flux de carbone organique depuis la couche de surface de l’océan ouvert.
© Wang et al., 2023, Nature.

 

Référence de l’article, accessible en ligne :

Biological carbon pump estimate based on multi-decadal hydrographic data. Wei-Lei Wang, Weiwei Fu, Frédéric A. C. Le Moigne, Robert T. Letscher, Yi Liu, Jin-Ming Tang, and François W. Primeau. Nature, le 6 décembre 2023.
DOI : https://doi.org/10.1038/s41586-023-06772-4

Revue critique de l’évaluation de la toxicité et du risque écologique des plastiques dans l’environnement marin

Résumé

L’augmentation de la production de plastique et la gestion insuffisante des déchets ont entraîné une pollution massive par les débris de plastique dans l’environnement marin. Contrairement à d’autres polluants connus, le plastique peut induire trois types d’effets toxiques : physiques (par exemple, lésions intestinales), chimiques (par exemple, lixiviation d’additifs toxiques) et biologiques (par exemple, transfert de micro-organismes pathogènes). Cet examen critique remet en question notre capacité à fournir une évaluation efficace du risque écologique, sur la base d’un nombre toujours croissant d’articles scientifiques au cours des deux dernières décennies reconnaissant des effets toxiques à tous les niveaux d’intégration biologique, du niveau moléculaire au niveau de la population. De nombreux biais en termes de concentration, de taille, de forme, de composition et de colonisation microbienne ont révélé que les tests de toxicité et d’écotoxicité ne sont toujours pas adaptés à ce polluant particulier. Des suggestions pour améliorer la pertinence des études et des normes de toxicité des plastiques sont présentées en vue de soutenir une future législation appropriée.

 

Résumé graphique

Points forts

  • Les effets toxiques récurrents des débris plastiques sont observés au niveau moléculaire et au niveau de la population.
  • Les conditions testées (concentration, type, taille, forme) manquent de pertinence environnementale.
  • Les études environnementales sur les débris plastiques sont rares.
  • Les normes de toxicité actuelles ne sont pas adaptées au plastique.

Référence

David Leistenschneider, Adèle Wolinski, Jingguang Cheng, Alexandra ter Halle, Guillaume Duflos, Arnaud Huvet, Ika Paul-Pont, Franck Lartaud, François Galgani, Édouard Lavergne, Anne-Leila Meistertzheim, Jean-François Ghiglione, A critical review on the evaluation of toxicity and ecological risk assessment of plastics in the marine environment, Science of The Total Environment, Vol 896, 2023

Accédez à l’article, publié en Open Access

https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2023.164955