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APERO : Une campagne sous canicule

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Objectifs de la campagne

APERO s’est déroulée sur le Pourquoi Pas ? et le Thalassa du 3 juin au 15 Juillet 2023 dans l’Atlantique Nord Est, au Sud-Ouest de l’Irlande (65 embarquants au total). Le projet a pour objectif de mieux comprendre les processus qui contraignent l’export de carbone et son stockage dans l’océan profond (Pompe Biologique de Carbone), ceci aux petites échelles frontales et tourbillonnaires. Ce projet entre dans le cadre international d’un programme soutenu par l’ONU (Décennie des Océans), JETZON (Joint Exploration of the Twilight Zone Ocean Network)). Bien que relativement ancien, le questionnement scientifique (devenir du carbone dans la colonne d’eau) n’a jamais été réellement abordé d’une manière approfondie avant les années 2010. En effet, ce n’est que tout récemment que les moyens d’observation permettent d’échantillonner cette zone obscure (twilight zone) de l’océan. Au-delà de l’apparition de plateformes autonomes (flotteurs Argo, gliders), le développement de nouveaux capteurs optiques, acoustiques, en imagerie, souvent miniaturisés, d’une instrumentation toujours plus ciblée, ainsi que le coût de plus en plus abordable de la biologie moléculaire, ouvrent de nouvelles voies dans la description et la compréhension du cycle du carbone océanique et du fonctionnement de l’écosystème méso pélagique (200-1000m).

Et après ?

S’appuyant sur une collaboration internationale importante (USA, GB, Allemagne, Australie, Espagne), élaborée sur la base d’une interdisciplinarité incontournable (de la physique à l’échelle des fronts à la biologie moléculaire, en passant par la biogéochimie, la physiologie, l’écologie), un des legs principaux d’APERO sera l’existence d’une base de données complète et cohérente, d’une richesse exceptionnelle. En synergie étroite avec les campagnes américaines et anglaises sur la même thématique, dans des régimes océaniques différents, un autre apport du programme devrait être concrétisé à terme par une amélioration des modèles de climat, type GIEC, avec une représentation plus précise de la biodégradation du carbone exporté vers l’océan profond (processus qui régule les échelles de temps de stockage du carbone par l’océan).

Bonne pêche avec le chalut THA !! Un myctophidé

Trajectoire modifiée en raison des fortes chaleurs

À noter que le changement climatique a eu un impact très profond, non anticipé, sur la campagne. Alors que l’Atlantique Nord Est est une région peu impactée par les vagues de chaleur, il s’est avéré que, pour la première fois, une vague de chaleur marine s’est déroulée juste au moment de la campagne (température de la surface de l’océan supérieure de 3°C par rapport à la moyenne climatique – 6°C pour l’atmosphère). La date de la campagne avait été choisie pour se retrouver au moment de l’export maximal de carbone vers l’océan profond (après la floraison/bloom printanier). De fait, ces conditions exceptionnelles ont induit une stratification de l’océan nettement supérieure à ce que l’on pouvait attendre, ce qui fait que nous nous trouvions en plein milieu d’un désert. Par l’intermédiaire d’analyses de données satellitaires, effectuées en temps réel à terre, les navires ont été « déportés » plus au nord, où l’activité biologique semblait encore être importante. Ceci a permis entre autres aux navigants de vivre deux tempêtes intenses de 3/4 jours, ce qui n’a pas simplifié la vie sur les navires, ni la stratégie d’échantillonnage. Ceci dit, toutes les mesures prévues ont bien été faites in fine (à cet égard, les marins de la flotte doivent sincèrement être remerciés, leur implication ayant été totale). Le contexte spécifique de la campagne demandera certainement une interprétation globale des données plus ouverte, et certainement tout autant, sinon plus, intéressante.

Anomalie de température au 22 Juin 2023 (base : 1971-2000). Carré jaune : zone APERO

Crédit photos

Simon Rondeau

Université du Maine

Contact

Laurent Memery / CNRS

Gauthier Schaal, Maître de conférences en biologie et écologie marine au LEMAR

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Que faisais-tu avant de venir à l’IUEM ?

J’ai fait mon doctorat à la Station biologique de Roscoff (SBR) de 2006 à 2009 avec Pascal Riera qui était mon directeur de thèse. Je travaillais sur les réseaux trophiques dans les forêts de laminaires. J’ai surtout utilisé la méthode du traçage isotopique, qui permet de suivre les flux de matière dans un écosystème. L’objectif était de comprendre comment la matière organique produite dans les écosystèmes par les végétaux est transférée dans le réseau trophique jusqu’aux prédateurs supérieurs. J’ai ainsi pu reconstruire l’ensemble des chaînes alimentaires au sein de l’écosystème, pour avoir une vue d’ensemble de son fonctionnement, en connectant toutes les espèces qui en font partie. Ensuite, j’ai fait un post doc en Afrique du Sud de 2010 à 2011 à Grahamstown à Rhodes University où j’ai continué à me préoccuper des mêmes thématiques qu’en thèse. Plus précisément, je me suis intéressé au rôle que jouent les différents systèmes estuariens comme soutien des écosystèmes côtiers. Ce séjour post-doctoral m’a également permis de compléter mes compétences en utilisant des marqueurs lipidiques pour suivre les flux de matière au sein des écosystèmes.

Pourquoi as-tu choisi l’IUEM ?

À l’issue de mes 2 ans de Post doc, j’ai été recruté comme Maître de conférences contractuel et je suis arrivé à l’IUEM en janvier 2012. Pendant ma thèse, j’avais eu l’occasion de travailler avec Jacques Grall et dans le cadre de cette collaboration, j’ai eu l’occasion de venir plusieurs fois à l’IUEM pour le rencontrer. À l’époque (c’est toujours le cas !), j’avais été impressionné par la taille et les diversité des thématiques développées à l’IUEM et au LEMAR. Assez rapidement, j’ai donc eu pour objectif de rejoindre le LEMAR à l’issue de mon post-doc. J’ai aussi bénéficié du soutien de Jacques pendant tout mon post doc. Après 4 ans et demi en tant qu’enseignant-chercheur contractuel, un poste de MCF a ouvert en 2016 et j’ai obtenu le concours.

Que fais-tu à l’IUEM ?

J’enseigne dans le cadre du Master de biologie marine et du Master EGEL que je co-dirige avec Nicolas Le Corre. J’enseigne également la biologie, l’écologie et les biostatistiques en licence de biologie.

Côté recherche, je suis dans l’équipe Discovery du LEMAR dont je suis co-animateur. Je suis également co-animateur du thème 4 d’ISblue « Océan vivant et services écosystémiques ».

Je travaille dans le domaine de l’écologie trophique, la branche de l’écologie qui s’intéresse à tout ce qui est en lien avec l’alimentation : physiologie des organismes, organisation des communautés biologiques, flux de matières au sein ou entre les écosystèmes. Les méthodes que je développe sont principalement basées sur l’utilisation de biomarqueurs trophiques, et notamment isotopiques et lipidiques. Un des gros avantages à l’IUEM est de pouvoir utiliser les plateformes Lipidocéan (Fabienne Le Grand) et le Pôle Spectrométrie Océan (Rudolph Corvaisier). Un tel environnement est unique en France ! Je travaille sur beaucoup de chantiers en même temps, principalement sur les écosystèmes côtiers tempérés, c’est ma spécialité de base. Avec le temps, j’étudie plein d’autres milieux : hydrothermal profond, tropical et les grands requins prédateurs. J’exerce mon activité en Bretagne, beaucoup au Mexique depuis 6 ou 7 ans avec Édouard Kraffe (co-encadrement de 2 thèses avec le CIBNOR), au Gabon avec François Le Loc’h (encadrement de 2 thèses également). Je m’intéresse aussi à l’Antarctique (co-encadrement d’une thèse avec Julien Thébault).

As-tu des anecdotes professionnelles à nous raconter ?

Je fais beaucoup de terrain, j’ai donc pas mal d’anecdotes plus ou moins sympas qui me sont arrivées dans ma carrière. En Afrique du Sud, les ormeaux font l’objet d’un braconnage très intense qui est contrôlé par des mafias. La police ne fait pas dans le détail, et la consigne est très simple : « shoot to kill ». Travaillant sur les milieux rocheux, là où se trouvent les ormeaux, les interactions avec le braconnage étaient possibles, et nous avions la consigne très claire de ne jamais prendre parti, ni pour les policiers, ni évidemment pour les braconniers, et de toujours porter une chasuble fluo marquée « research » pour pouvoir être identifié de loin. Lors d’un terrain à proximité de la ville de Kleinmond, j’ai vu débarquer en courant un policier qui pourchassait des braconniers et a exigé que je l’emmène de l’autre côté de la baie pour continuer sa course poursuite. Je me suis donc retrouvé à conduire un policier dans un pick-up marqué « Rhodes University », au vu et au su de tous les braconniers du coin. Autant dire qu’une fois le policier sorti, nous avons immédiatement quitté la zone pour éviter toutes représailles. Je n’ai jamais pu terminer mon échantillonnage à Kleinmond…

Quel est ton plus beau souvenir de boulot ?

Dans le cadre de la thèse de Margaux Mathieu-Resuge, que je co-encadrais avec Edouard Kraffe, nous échantillonnions dans la lagune d’Ojo de Liebre, sur la côte Pacifique de la péninsule de Basse Californie. En février 2016, lorsque nous y étions, j’ai pu vivre le genre de journée que seul mon métier peut offrir. Pour planter le décor, Ojo de Liebre est une grande lagune au milieu du désert qui accueille chaque année des baleines grises venues y mettre bas. Lorsque nous y étions, 2000 individus y avaient été recensés ! On y trouve également dauphins, otaries et requins blancs en abondance. Nous travaillions avec des pêcheurs locaux qui plongeaient au narguilé pour récolter des bivalves. A un moment, les pêcheurs arrêtent le bateau, ne disent rien, s’équipent et se mettent à l’eau. Ils finissent par remonter avec un sac rempli de grandes nacres, qui sont rarissimes en France et très protégées, mais abondantes là-bas. Ils nous sortent de nulle part des citrons verts, ouvrent les coquilles et nous avons profité d’un ceviche ultra-frais improvisé sous le soleil levant… magique ! Après la journée de terrain, les pêcheurs ont tenu à nous accompagner jusqu’au petit laboratoire de terrain où nous devions disséquer toutes les coquilles, et sont restés avec nous jusqu’à 3h du matin (la journée avait commencé à 6h du matin la veille). Une fois terminé, alors que nous étions tous épuisés mais surtout affamés, ils nous ont conduits dans les ruelles de Guerrero Negro, où nous n’aurions jamais osé nous aventurer, pour partager des tacos dans la dernière boutique ouverte, sans doute à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde.

Quels sont tes centres d’intérêt ?

Au-delà de mon travail, l’essentiel de mon temps libre est consacré à aider ma compagne, qui est éleveuse d’escargots. Nous avons ainsi 200 000 bêtes à cornes, qui ne vont pas bien vite, mais prennent énormément de temps, surtout au moment des fêtes.

Je joue également aux échecs depuis plus de 30 ans.

As-tu une devise ?

Je suis souvent confronté aux incertitudes d’étudiants qui oscillent entre des vocations profondes et des doutes en ce qui concerne les débouchés que peut leur offrir la poursuite de leur vocation. Je trouve ça très triste de voir un.e étudiant.e renoncer à ses rêves par peur d’un échec qui, même s’il est probable, n’est pas certain. Ayant moi-même rencontré un certain nombre de murs au cours de mon parcours, j’ai tendance à leur dire « prends-toi le mur avant de changer de direction » !

Crédit photos

Édouard Kraffe / UBO

Lucien Besnard

Contact

Gauthier Schaal / UBO