Décryptage des forçages environnementaux dans la distribution de la méiofaune et des nématodes dans les mangroves des régions Atlantique-Caraïbes-Pacifique oriental et Indo-Ouest-Pacifique

Résumé

Les mangroves se développent dans des conditions environnementales et sous des pressions anthropiques dont l’impact sur la méiofaune benthique reste mal compris. La structuration des communautés de méiofaune en fonction des conditions sédimentaires locales n’est pas claire. Cette étude a été conçue pour caractériser la structure des communautés de méiofaune et de nématodes (taxons dominants) et les forçages environnementaux associés dans les sédiments intertidaux de mangroves de Mayotte (Indo-Ouest-Pacifique), de Martinique et de Guadeloupe (Caraïbes). Les carottes de sédiments ont été prélevées à la fin de la saison sèche, à marée basse, sur des peuplements de palétuviers adultes avec des temps d’immersion similaires. Dans chaque couche de sédiments, nous avons analysé le potentiel redox, le pH, la salinité de l’eau interstitielle, la granulométrie, la matière organique, les métaux, les contaminants organiques, les procaryotes et la méiofaune. Nos résultats montrent que les sédiments éloignés des villes et des champs agricoles ont piégé des contaminants spécifiques au site en raison des processus locaux de transport de l’eau. Certains métaux, HAP ou pesticides dépassent les seuils de toxicité dans la plupart des stations étudiées et sont donc nocifs pour la faune benthique. L’environnement sédimentaire agit comme un filtre sélectionnant des communautés spécifiques de méiofaune à l’échelle de la station uniquement dans les Caraïbes. A Mayotte, l’homogénéité horizontale contraste avec l’hétérogénéité verticale du milieu sédimentaire et de la méiofaune. Les genres de nématodes ont montré des schémas de distribution particuliers horizontalement et verticalement, suggérant la présence de taches sédimentaires adaptées à un pool restreint de genres sur chaque île. Les résultats obtenus dans les Caraïbes sont cohérents avec les schémas de diversité imbriqués dus au filtrage environnemental. Inversement, l’homogénéité horizontale à Mayotte refléterait une plus grande dispersion entre les stations ou des pressions anthropiques plus homogènes dans l’espace. Les genres de nématodes présents en profondeur ne sont peut-être pas les plus spécialisés, mais les plus polyvalents, capables de prospérer dans des conditions différentes. Terschellingia et Daptonema ont montré des réponses contrastées aux forçages environnementaux, probablement en raison de leur polyvalence, tandis que Desmodora a montré des réponses uniformes entre les zones d’étude, sauf lorsque les seuils de toxicité ont été dépassés. Nos résultats soulignent qu’un genre donné de nématodes peut répondre différemment aux conditions sédimentaires selon les sites.

 

Résumé graphique

 

Points forts

  • Les métaux, les PCB, les HAP ou les pesticides dépassent les seuils de toxicité sur chaque île.
  • La densité de la méiofaune et des nématodes a diminué de manière significative en fonction de la profondeur.
  • La communauté de nématodes est structurée à l’échelle de la station dans toutes les îles.
  • Les communautés de nématodes forment des taches locales avec une composition en genres très différente.
  • Variabilité spécifique au site de la réponse des nématodes à de multiples facteurs de stress

Référence

Spedicato, Adriana, Daniela Zeppilli, Gerard Thouzeau, Philippe Cuny, Cecile Militon, Cedric Hubas, Lea Sylvi, et al. « Deciphering Environmental Forcings in the Distribution of Meiofauna and Nematodes in Mangroves of the Atlantic-Caribbean-East Pacific and Indo-West Pacific Regions ». SCIENCE OF THE TOTAL ENVIRONMENT 930 (20 juin 2024): 172612. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2024.172612.

l’Expé-1point5 : une publication dans “One Earth”

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Voici un lien vers une publication d’Olivier Ragueneau et Audrey Sabbagh, parue le 17 mai dernier dans la revue “One Earth”. Elle décrit la philosophie, les objectifs de l’expérimentation que co-portent depuis 2020 le LEMAR (IUEM) et l’UMR MERIT (Université Paris Cité) dans le cadre du collectif Labos 1point5. L’Expé-1point5 vise à stimuler des changements de pratiques dans les laboratoires de recherche en vue de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Comme son titre l’indique “From carbon to meaning”, il s’agit de dépasser l’entrée climatique pour poser la question du sens même de nos activités de recherche sous contrainte climatique : est-il possible de maintenir une recherche de qualité, de l’accroître possiblement notamment à travers l’idée de slow science, tout en réduisant les émissions de GES et en retrouvant une vraie qualité de vie au travail ? L’idée de cet article est de proposer de faire de la recherche un démonstrateur de transformation, pour retrouver une recherche soutenable, tant environnementalement que socialement parlant.
Bonne lecture !

Lire l’article :
“From carbon to meaning: Experimenting for sustainable science”

Réseau côtier français pour la surveillance des systèmes carbonatés : le jeu de données CocoriCO2

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Résumé
Depuis le début de la révolution industrielle, les concentrations de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère n’ont cessé d’augmenter et ont entraîné une diminution du pH moyen des océans de surface de 0,1 unité, ce qui correspond à une augmentation de l’acidité des océans d’environ 30 %. Outre le réchauffement des océans, l’acidification des océans représente un défi considérable pour certains organismes marins, en particulier les calcificateurs. La nécessité d’effectuer des observations océaniques à long terme du pH et de la température est un élément clé pour évaluer la vulnérabilité des communautés et des écosystèmes marins à ces pressions. On sait que les environnements productifs proches des côtes, où se déroulent la plupart des activités de conchyliculture, présentent des niveaux de pH ainsi que des amplitudes de variations quotidiennes et saisonnières beaucoup plus importantes que celles observées en haute mer. Pourtant, à ce jour, il existe très peu de sites d’observation côtiers où ces paramètres sont mesurés simultanément et à haute fréquence.

Pour combler cette lacune, un réseau d’observation a été initié en 2021 dans le cadre du projet CocoriCO2. Six sites ont été sélectionnés le long des côtes françaises de l’Atlantique et de la Méditerranée en fonction de leur importance en termes de production de coquillages et de la présence d’activités de surveillance à haute et basse fréquence. Sur chaque site, des capteurs autonomes de pH ont été déployés, à l’intérieur et à l’extérieur des zones de production de coquillages, à côté de sondes CTD (conductivité-température-profondeur) à haute fréquence exploitées par deux réseaux de surveillance opérationnels. Les capteurs de pH ont été réglés sur un taux d’acquisition de 15 minutes et des échantillons discrets d’eau de mer ont été prélevés toutes les deux semaines afin de contrôler la qualité des données de pH (mesures spectrophotométriques en laboratoire) ainsi que de mesurer l’alcalinité totale et les concentrations de carbone inorganique dissous pour une caractérisation complète du système de carbonate. Alors que ce réseau fonctionne depuis plus de deux ans, les données acquises ont déjà révélé d’importantes différences en termes de variations de pH entre les sites surveillés, liées à l’influence de divers processus (apports d’eau douce, marées, température, processus biologiques). Les données sont disponibles sur https://doi.org/10.17882/96982 (Petton et al., 2023a).

 

Figure 1

Emplacement des sites de surveillance à haute fréquence (points bleus) du réseau CocoriCO2. Les points roses et verts indiquent les stations basse fréquence SOMLIT et REPHY, respectivement, à partir desquelles les données sur les nutriments ont été acquises.

 

Conclusion et état actuel du réseau

Le réseau initié en 2021 sur le littoral français a fourni des données essentielles pour l’évaluation de la dynamique de la chimie des carbonates à différentes échelles temporelles et dans des sites côtiers contrastés (sites conchylicoles proches du rivage vs. sites non conchylicoles plus soumis à des conditions océaniques). Le grand nombre de sites et la couverture géographique du réseau nous ont déjà permis d’évaluer l’influence de divers processus physiques, chimiques et biologiques (apports d’eau douce, marées, température, processus biologiques), que nous avons brièvement présentés dans le présent article. L’ensemble des données acquises sera sans aucun doute d’un grand intérêt pour le public et les communautés scientifiques à l’avenir, car notre choix de baser notre réseau sur des activités de surveillance existantes a non seulement permis de fournir des données fiables à un taux d’acquisition très élevé et à un coût financier moindre, mais il permet également de s’appuyer sur des ensembles de données à basse fréquence existants (chlorophylle, nutriments, concentrations de matière organique, etc. Cependant, l’acquisition autonome de séries temporelles à proximité de la conchyliculture pose un certain nombre de problèmes, principalement liés à l’intense pression exercée par le biofouling. Cela explique la plupart des données invalidées même en employant des protocoles de nettoyage manuel bimensuels, ce qui nécessitera à l’avenir le développement de solutions anti-salissures actives et efficaces qui sont actuellement en cours de développement (chloration localisée, essuie-glace adapté) dans le cadre de notre projet. De plus, la technologie SeaFET est relativement nouvelle par rapport aux capteurs de température ou de conductivité plus conventionnels. Nous avons rencontré des disparités au sein de l’ensemble des sondes acquises, certaines électrodes fonctionnant mal après seulement quelques mois de déploiement, alors que le fabricant Sea-Bird indique une durée de vie minimale d’un an. Pour compliquer les choses, un autre problème est apparu à partir de juin 2022 : le service de maintenance du SeaFET a été suspendu en raison d’une pénurie du composant DuraFET. Alors que le service reprendra apparemment à la fin de 2023, cette interruption a déjà entraîné des lacunes temporelles dans les données de la série chronologique. En outre, l’évaluation de nouveaux capteurs est en cours dans le but d’améliorer la fiabilité et la précision des données déjà collectées.

 

Référence

Petton, S., Pernet, F., Le Roy, V., Huber, M., Martin, S., Macé, É., Bozec, Y., Loisel, S., Rimmelin-Maury, P., Grossteffan, É., Repecaud, M., Quemener, L., Retho, M., Manac’h, S., Papin, M., Pineau, P., Lacoue-Labarthe, T., Deborde, J., Costes, L., Polsenaere, P., Rigouin, L., Benhamou, J., Gouriou, L., Lequeux, J., Labourdette, N., Savoye, N., Messiaen, G., Foucault, E., Ouisse, V., Richard, M., Lagarde, F., Voron, F., Kempf, V., Mas, S., Giannecchini, L., Vidussi, F., Mostajir, B., Leredde, Y., Alliouane, S., Gattuso, J.-P., and Gazeau, F.: French coastal network for carbonate system monitoring: the CocoriCO2 dataset, Earth Syst. Sci. Data, 16, 1667–1688

https://doi.org/10.5194/essd-16-1667-2024, 2024.

Les micro-nanoplastiques issues de la perliculture affectent la physiologie des huîtres et la qualité des perles

Résumé

La perliculture est cruciale pour l’économie de la Polynésie française. Les structures d’élevage majoritairement en plastique contribuent à la génération de déchets plastiques dans les lagons où la perliculture est pratiquée. La contamination en microplastiques y suscite donc des inquiétudes quant aux risques pour l’industrie perlicole. Cette étude visait à évaluer les effets des micro- et nanoplastiques (MNP, d’une taille comprise entre 0,4 et 200 μm) sur l’huître perlière Pinctada margaritifera au cours d’un cycle de production de perles de 5 mois. Les MNP ont été produits à partir de matériels plastiques de perliculture usagés. Les huitres ont été exposées en laboratoire à deux concentrations dont une concentration environnementale pertinente (0,025 et 1 μg / litre d’eau de mer). Les réponses des huîtres à la contamination micro et nanoplastique ont mis en évidence des effets même à la faible concentration. Des changements dans le métabolisme énergétique principalement dus à une diminution des capacités digestives des animaux exposés (notamment en termes d’assimilation des microalgues) ont été observés en lien avec une modification de l’expression de gènes. L’activité d’un groupe de gènes est apparue liée aux paramètres écophysiologiques affectés par l’exposition aux MNP. Ces gènes sont des indicateurs du stress lié aux plastiques à tester dans la nature d’autant plus que des effets plus importants pourraient survenir dans des conditions naturelles considérant la nature oligotrophe des écosystèmes lagunaires bien plus faibles en approvisionnement alimentaire qu’expérimentalement dans cette étude. Enfin, la biominéralisation des perles est apparue perturbée chez les huîtres exposées, avec une diminution de l’épaisseur des cristaux d’aragonite et la présence de concrétions biominérales anormales, connues sous le nom de perles keshi, soulevant des inquiétudes quant à l’impact potentiel à long terme sur l’industrie perlière polynésienne.

 

Résumé graphique


Mots-clés

huître perlière ; exposition aux micro-nanoplastes ; scénarios environnementaux ; écophysiologie ; métabolisme énergétique ; génomique fonctionnelle ; cycle de la perle

 

Référence

Gardon, Tony, Jeremy Le Luyer, Gilles Le Moullac, Claude Soyez, Fabienne Lagarde, Alexandre Dehaut, Ika Paul-Pont, et Arnaud Huvet. « Pearl Farming Micro-Nanoplastics Affect Oyster Physiology and Pearl Quality ». ENVIRONMENTAL SCIENCE & TECHNOLOGY 58, no 1 (9 janvier 2024): 207‑18. https://doi.org/10.1021/acs.est.3c06684.

Mercure hydrothermal : l’histoire naturelle d’un contaminant

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Notre collègue Hélène Planquette a participé à une étude internationale coordonnée par le CNRS visant à estimer la contribution des sources hydrothermales au stock de mercure présent dans les océans.

Cette étude vient d’être publiée dans la revue Nature Geoscience et fait l’objet d’un communiqué du CNRS :

Une équipe internationale de chercheurs, coordonnée par le CNRS (voir encadré), a établi la première estimation mondiale des émissions hydrothermales de mercure (Hg) provenant des dorsales médio-océaniques. La Convention de Minamata sur le mercure de l’ONU vise à réduire l’exposition humaine au mercure toxique à travers la réduction des émissions anthropiques. Nous sommes principalement exposés via la consommation de poissons qui bioaccumulent le Hg de l’océan. Le paradigme actuel est que les émissions anthropiques de mercure (actuellement 3 100 t an-1) sont à l’origine de l’augmentation du réservoir océanique mondial de mercure de 21 %. Cette estimation est erronée car nous ne savons pas quelle quantité de mercure naturel résidait dans l’océan avant le début des émissions anthropiques.

Nous ne sommes également pas en mesure de quantifier l’impact des émissions anthropiques sur les niveaux de Hg chez des poissons. L’hydrothermalisme est la seule source directe de Hg naturel vers l’océan. Des études antérieures, basées uniquement sur les mesures des fluides hydrothermaux, suggéraient que les apports du Hg hydrothermal pourraient se situer entre 20 et 2 000 t an-1. Cette nouvelle étude a utilisé, en plus des mesures de fluides, des mesures de panaches hydrothermaux, d’eaux de mer et de carottes de roches provenant de la source hydrothermale Trans-Atlantic Geotraverse (TAG) sur la dorsale médio-atlantique.

La combinaison des observations suggère que la majorité du Hg enrichi dans les fluides, serait diluée dans l’eau de mer et qu’une petite fraction précipiterait localement. Une extrapolation des résultats indique que le flux hydrothermal global de Hg provenant des dorsales médio-océaniques est faible (1,5 à 65 t an-1) par rapport aux missions anthropiques de Hg. Bien que cela suggère que la majeure partie du Hg, présent dans l’océan, est d’origine anthropique, cela laisse également espérer que la mise en œuvre stricte des réductions d’émissions, dans le cadre de la Convention de Minamata, réduira les niveaux de mercure des poissons et l’exposition des humains.

 

Référence de l’article :

Torres-Rodriguez, N., Yuan, J., Petersen, S. et al. Mercury fluxes from hydrothermal venting at mid-ocean ridges constrained by measurementsNat. Geosci. (2023).