Le manque d’accès aux données marines : un barrage à une gestion plus saine des océans

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À l’ère du numérique, alors que les bases de données océaniques sont continuellement enrichies, les écosystèmes marins s’appauvrissent et se dégradent de manière alarmante. Dans le contexte des changements globaux, ce type de données devrait nous permettre une meilleure gestion de notre consommation des ressources océaniques, afin de les préserver. Pourtant, nombre de ces informations sont difficilement accessibles et/ou peu partagées ; cet état de fait gêne la bonne compréhension des différentes modifications physiques, écologiques et sociales en cause dans ces changements écosystémiques évolutifs et rapides. Ceux-ci impliquent de constantes réévaluations et mises à jour des données océaniques. On observe cependant un progrès significatif dans la communication et la transparence de ces données. D’intéressantes alternatives pourraient venir l’enrichir.

À ce jour, d’innombrables observations satellites de la Terre sont répertoriées par les dispositifs de télédétection (ex. programmes Landsat et Sentinel), des milliers de scientifiques collectent des milliers de données sur le terrain ; un grand nombre de plateformes en résulte, offrant un accès et un partage à ces ressources en ligne.

Trop souvent, un manque évident de structuration et/ou de standardisation nuit au partage en ligne des données ; celles-ci peuvent, par exemple, être collectées par des étudiants ou des chercheurs non-académiques. Malgré des incertitudes de mesures souvent inconnues voire douteuses, de nombreuses informations importantes sont contenues au sein de ces données « désordonnées ». Comment les combiner au mieux avec celles des chercheurs académiques, et ainsi en valoriser l’ensemble ? Les bases de données actuelles pourraient s’enrichir d’une quantité conséquente de ressources ignorées ou non partagées (cf. fig. 1).

Fig. 1 : Situation actuelle (à gauche) et souhaitée (à droite) dans le contexte de la disponibilité et du partage des données océaniques. Les débits d’eau représentent la quantité de données relative à chaque source.

Trois obstacles très concrets, expliquant les difficultés d’accès aux données océaniques, peuvent ainsi être identifiés : leur mise en ligne, leur accessibilité et la navigation sur les plateformes dédiées. Le téléchargement des ressources vers le Cloud (stockage à distance) correspond à leur transfert dans une grande base de données numériques où elles peuvent être partagées. Se posent alors des contraintes (cf. fig. 2) de recherche et localisation des bases de données thématiquement proches et regroupant des informations de même nature que celles à déposer, de leurs sources d’origine et du respect des exigences de formatage.

Dans certains cas, les données océaniques ne sont pas numériques et par conséquent, pas répertoriées (informations relevées dans des carnets de bord par ex.). De même un propriétaire n’a pas forcément conscience de l’utilité de ses données pour la communauté ; c’est typiquement le cas des publications de photos sur les réseaux sociaux : les Smartphones peuvent en effet être considérés comme des outils d’enregistrement des changements d’état des mangroves ou des herbiers marins en Indonésie par ex.

Fig. 2: Paramètres de la production et du partage des données. (1) mesures sur le terrain, (2) instruments de traitements de données détenus par les producteurs uniquement, (3) ensemble de données dispersées, (4) données locales non partagées en dehors d’une institution, (5) données potentiellement intéressantes pour des utilisateurs extérieurs à l’institution, (6) barrage aux partages des données, (7) articles produits à partir de données stagnantes, (8) utilisation impossible de données aux formats inadaptés, (9) non-renseignement de la source de données mises en ligne, (10) montagnes de disciplines différentes auxquelles pourraient s’appliquer un même type de données.

Une fois téléchargées sur le Cloud, se pose le problème de l’accès à ces données. Celles-ci sont souvent classées par disciplines, régions océaniques et sous différents formats. Les liens entre ces ressources sont donc fragiles et facilement rompus. De plus, les utilisateurs ne sont pas toujours informés des mises à jour du fait de l’impossibilité de communiquer avec les producteurs de données. Enfin, la navigation se complique à mesure que le volume et la diversité des ressources augmentent. Les données océaniques, réparties sur différentes plateformes, sont peu évidentes à évaluer (qualité/précision de mesure) et à dater (données anciennes/récentes). Néanmoins et même si l’outil de recherche Google propose un accès assez simple à des données récentes, un système de navigation qui offrirait une combinaison optimale de toutes ces données, allègerait le coût de la Recherche en sciences marines sur le long terme et à large échelle géographique.

La plupart des solutions à ces problèmes existent déjà mais sont exploitées partiellement ou appliquées à d’autres domaines que l’Océanographie. S’en inspirer permet d’envisager une combinaison de différentes approches pour accéder à un maximum de ressources. Le procédé « d’optimisation combinatoire » consiste, dans ce cadre, à coupler les technologies de navigation à l’utilisation de réseaux sociaux (cf. fig. 3)

Fig. 3 : Combinaison de diverses solutions (représentée par le moulin), cette combinaison fournirait une plateforme de découverte et d’accès aux données, ainsi que de nombreux outils et applications.

Pour exemples : l’utilisation d’un « grand livre » (registre) facilite la lecture de paramètres mesurés et classés, issu du domaine comptable, il concourt à la traçabilité des sources et à la transparence des données. Le registre le plus simple est le DOI (identificateur d’objet numérique), déjà appliqué à de nombreuses ressources en sciences. Les DOI certifient la provenance et sont associés aux données source. Par ailleurs, l’utilisation d’un blockchain (chaîne de blocs) permet la traçabilité et assure la sécurité du partage des données, jusqu’alors son principal domaine d’application est celui de la cryptomonnaie. Il permet un enregistrement ponctuel des modifications des données ainsi qu’une gestion de données combinées dans un cadre interdisciplinaire. Enfin, l’utilisation d’un extracteur et transcripteur automatique tire parti de l’intelligence artificielle, pour un traitement rapide d’une grande quantité d’informations, il réduit aussi les coûts et efforts associés au téléchargement et à la navigation (ex. : NPL / Natural Language Processing).

De nouveaux appels au partage volontaire de données pourraient enfin venir compléter l’utilisation des outils mentionnés précédemment. Des revues scientifiques reconnues soutiendraient la collecte d’une grande quantité de données pour leur valorisation. Un index de citation existe déjà pour les articles scientifiques et l’ensemble des données répertoriées, via le service d’information universitaire du Web of Science (WOS). La présence systématique d’un index pourrait désigner la source des données océaniques ayant donné lieu à une publication dans les revues scientifiques, en vue d’un regroupement de ces données.

Certaines communautés numériques utilisent également des monnaies non officielles dans diverses régions, pour favoriser les dépenses locales. Une monnaie communautaire numérique (DCC /Digital Community Currency) pourrait donc être créée afin de soutenir les fournisseurs de données océaniques en fonction de la quantité, la qualité et la transparence des ressources partagées. Cette monnaie serait en outre échangée contre d’autres ressources en ligne. Un tel procédé augmenterait la visibilité de jeux de données conséquents et soutiendrait le financement de campagnes scientifiques. Les agences gouvernementales pourraient aussi en bénéficier pour faire face aux catastrophes naturelles et des réseaux sociaux spécialisés dans les échanges entre chercheurs profiteraient également de ces partages. Une combinaison de ce type de réseaux avec les plateformes de données en ligne (ODCM/Ocean Data Combinatorial Machine) permettrait notamment une gestion des mises à jour en plus de nouvelles collaborations entre chercheurs.

Des enseignes internationales comme Amazon ont déjà résolu, à des fins commerciales, des problèmes similaires concernant la gestion et la compilation des données. Cette entreprise utilise des agencements spécifiques pour stocker ses articles dans d’énormes entrepôts, leur accessibilité est optimisée en permanence. La transparence est également assurée sur l’origine, la composition, la fabrication de nombreux produits et des interactions directes sont prévues avec les clients. Ce type d’exemple rend envisageable, le regroupement des données marines, leur accessibilité ainsi que des échanges entre producteurs et utilisateurs. Une transposition durable au domaine océanique permettrait la création de bases de données universelles pour une gestion plus saine des Océans. Coordonner des actions efficaces pour atténuer le déclin des écosystèmes marins passe par une meilleure gestion de nos données océaniques, collaboration et partage maximal restent donc essentiels.

Médiation scientifique

Assurée par Pierre Fourrier, doctorant de l’École Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 1ère année de thèse en Chimie Organique Marine au Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (LEMAR), à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM).

L’article

Pendleton, L. H., Beyer, H., Grose, S. O., Hoegh-Guldberg, O., Karcher, D. B., Kennedy, E., Llewellyn, L., Nys C., Shapiro, A., Jain, R., Kuc, K., Leatherland, T., O’Hainnin, K., Olmedo, G., Seow, L., Tarsel, M. (2019). Disrupting data sharing for a healthier ocean. ICES Journal of Marine Science, 76(6), 1415-1423. https://doi.org/10.1093/icesjms/fsz068

Les auteurs

Cet article est issu d’une collaboration internationale entre des chercheurs du World Wildlife Fund (WWF) (Washington, USA) ; du Nicholas Institute for Environmental Policy (Duke University, USA) ; du Global Change Institute (University of Queensland, Australie) ; de l’Ifremer (IUEM, UBO, Plouzané) de l’unité de recherche AMURE ; de la Conservation Science Unit (WWF, Indonésie) ; de l’Australian Institute of Marine Science (Townsville, Australie) ; et de l’IBM Corporation, Corporate Citizen & Corporate Affairs (New-York, USA).

La revue

« The ICES Journal of Marine Science » publie des articles originaux, des essais d’opinions (« Food for Thought »), des projets pour l’avenir (« Quo Vadimus ») et des revues critiques qui contribuent à notre compréhension scientifique des systèmes marins.

Contacts

Auteurs : consulter l’annuaire de l’IUEM

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