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Gauthier Schaal, Maître de conférences en biologie et écologie marine au LEMAR

Que faisais-tu avant de venir à l’IUEM ?

J’ai fait mon doctorat à la Station biologique de Roscoff (SBR) de 2006 à 2009 avec Pascal Riera qui était mon directeur de thèse. Je travaillais sur les réseaux trophiques dans les forêts de laminaires. J’ai surtout utilisé la méthode du traçage isotopique, qui permet de suivre les flux de matière dans un écosystème. L’objectif était de comprendre comment la matière organique produite dans les écosystèmes par les végétaux est transférée dans le réseau trophique jusqu’aux prédateurs supérieurs. J’ai ainsi pu reconstruire l’ensemble des chaînes alimentaires au sein de l’écosystème, pour avoir une vue d’ensemble de son fonctionnement, en connectant toutes les espèces qui en font partie. Ensuite, j’ai fait un post doc en Afrique du Sud de 2010 à 2011 à Grahamstown à Rhodes University où j’ai continué à me préoccuper des mêmes thématiques qu’en thèse. Plus précisément, je me suis intéressé au rôle que jouent les différents systèmes estuariens comme soutien des écosystèmes côtiers. Ce séjour post-doctoral m’a également permis de compléter mes compétences en utilisant des marqueurs lipidiques pour suivre les flux de matière au sein des écosystèmes.

Pourquoi as-tu choisi l’IUEM ?

À l’issue de mes 2 ans de Post doc, j’ai été recruté comme Maître de conférences contractuel et je suis arrivé à l’IUEM en janvier 2012. Pendant ma thèse, j’avais eu l’occasion de travailler avec Jacques Grall et dans le cadre de cette collaboration, j’ai eu l’occasion de venir plusieurs fois à l’IUEM pour le rencontrer. À l’époque (c’est toujours le cas !), j’avais été impressionné par la taille et les diversité des thématiques développées à l’IUEM et au LEMAR. Assez rapidement, j’ai donc eu pour objectif de rejoindre le LEMAR à l’issue de mon post-doc. J’ai aussi bénéficié du soutien de Jacques pendant tout mon post doc. Après 4 ans et demi en tant qu’enseignant-chercheur contractuel, un poste de MCF a ouvert en 2016 et j’ai obtenu le concours.

Que fais-tu à l’IUEM ?

J’enseigne dans le cadre du Master de biologie marine et du Master EGEL que je co-dirige avec Nicolas Le Corre. J’enseigne également la biologie, l’écologie et les biostatistiques en licence de biologie.

Côté recherche, je suis dans l’équipe Discovery du LEMAR dont je suis co-animateur. Je suis également co-animateur du thème 4 d’ISblue « Océan vivant et services écosystémiques ».

Je travaille dans le domaine de l’écologie trophique, la branche de l’écologie qui s’intéresse à tout ce qui est en lien avec l’alimentation : physiologie des organismes, organisation des communautés biologiques, flux de matières au sein ou entre les écosystèmes. Les méthodes que je développe sont principalement basées sur l’utilisation de biomarqueurs trophiques, et notamment isotopiques et lipidiques. Un des gros avantages à l’IUEM est de pouvoir utiliser les plateformes Lipidocéan (Fabienne Le Grand) et le Pôle Spectrométrie Océan (Rudolph Corvaisier). Un tel environnement est unique en France ! Je travaille sur beaucoup de chantiers en même temps, principalement sur les écosystèmes côtiers tempérés, c’est ma spécialité de base. Avec le temps, j’étudie plein d’autres milieux : hydrothermal profond, tropical et les grands requins prédateurs. J’exerce mon activité en Bretagne, beaucoup au Mexique depuis 6 ou 7 ans avec Édouard Kraffe (co-encadrement de 2 thèses avec le CIBNOR), au Gabon avec François Le Loc’h (encadrement de 2 thèses également). Je m’intéresse aussi à l’Antarctique (co-encadrement d’une thèse avec Julien Thébault).

As-tu des anecdotes professionnelles à nous raconter ?

Je fais beaucoup de terrain, j’ai donc pas mal d’anecdotes plus ou moins sympas qui me sont arrivées dans ma carrière. En Afrique du Sud, les ormeaux font l’objet d’un braconnage très intense qui est contrôlé par des mafias. La police ne fait pas dans le détail, et la consigne est très simple : « shoot to kill ». Travaillant sur les milieux rocheux, là où se trouvent les ormeaux, les interactions avec le braconnage étaient possibles, et nous avions la consigne très claire de ne jamais prendre parti, ni pour les policiers, ni évidemment pour les braconniers, et de toujours porter une chasuble fluo marquée « research » pour pouvoir être identifié de loin. Lors d’un terrain à proximité de la ville de Kleinmond, j’ai vu débarquer en courant un policier qui pourchassait des braconniers et a exigé que je l’emmène de l’autre côté de la baie pour continuer sa course poursuite. Je me suis donc retrouvé à conduire un policier dans un pick-up marqué « Rhodes University », au vu et au su de tous les braconniers du coin. Autant dire qu’une fois le policier sorti, nous avons immédiatement quitté la zone pour éviter toutes représailles. Je n’ai jamais pu terminer mon échantillonnage à Kleinmond…

Quel est ton plus beau souvenir de boulot ?

Dans le cadre de la thèse de Margaux Mathieu-Resuge, que je co-encadrais avec Edouard Kraffe, nous échantillonnions dans la lagune d’Ojo de Liebre, sur la côte Pacifique de la péninsule de Basse Californie. En février 2016, lorsque nous y étions, j’ai pu vivre le genre de journée que seul mon métier peut offrir. Pour planter le décor, Ojo de Liebre est une grande lagune au milieu du désert qui accueille chaque année des baleines grises venues y mettre bas. Lorsque nous y étions, 2000 individus y avaient été recensés ! On y trouve également dauphins, otaries et requins blancs en abondance. Nous travaillions avec des pêcheurs locaux qui plongeaient au narguilé pour récolter des bivalves. A un moment, les pêcheurs arrêtent le bateau, ne disent rien, s’équipent et se mettent à l’eau. Ils finissent par remonter avec un sac rempli de grandes nacres, qui sont rarissimes en France et très protégées, mais abondantes là-bas. Ils nous sortent de nulle part des citrons verts, ouvrent les coquilles et nous avons profité d’un ceviche ultra-frais improvisé sous le soleil levant… magique ! Après la journée de terrain, les pêcheurs ont tenu à nous accompagner jusqu’au petit laboratoire de terrain où nous devions disséquer toutes les coquilles, et sont restés avec nous jusqu’à 3h du matin (la journée avait commencé à 6h du matin la veille). Une fois terminé, alors que nous étions tous épuisés mais surtout affamés, ils nous ont conduits dans les ruelles de Guerrero Negro, où nous n’aurions jamais osé nous aventurer, pour partager des tacos dans la dernière boutique ouverte, sans doute à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde.

Quels sont tes centres d’intérêt ?

Au-delà de mon travail, l’essentiel de mon temps libre est consacré à aider ma compagne, qui est éleveuse d’escargots. Nous avons ainsi 200 000 bêtes à cornes, qui ne vont pas bien vite, mais prennent énormément de temps, surtout au moment des fêtes.

Je joue également aux échecs depuis plus de 30 ans.

As-tu une devise ?

Je suis souvent confronté aux incertitudes d’étudiants qui oscillent entre des vocations profondes et des doutes en ce qui concerne les débouchés que peut leur offrir la poursuite de leur vocation. Je trouve ça très triste de voir un.e étudiant.e renoncer à ses rêves par peur d’un échec qui, même s’il est probable, n’est pas certain. Ayant moi-même rencontré un certain nombre de murs au cours de mon parcours, j’ai tendance à leur dire « prends-toi le mur avant de changer de direction » !

Crédit photos

Édouard Kraffe / UBO

Lucien Besnard

Contact

Gauthier Schaal / UBO

 

Récif de corail : le futur paradis perdu ?

Le dioxyde de carbone (CO2) connu comme gaz à effet de serre, est l’un des acteurs important du réchauffement climatique, il augmente avec régularité depuis plusieurs décennies entrainant dans son sillage des effets dommageables pour tous et à toute échelle de la biodiversité, des micro-organismes jusqu’ à l’Homme. Les récifs coralliens sont parmi les premiers à le subir et à en répercuter l’impact sur des millions de personnes dépendantes de leur écosystème. En effet ces récifs ne constituent pas seulement le biotope de nombreuses espèces marines, ils protègent également les populations locales et leurs habitations de la destruction par les eaux et procurent de multiples avantages essentiels, également appelés services écosystémiques, en matière de pêcherie, tourisme, emplois …etc.

Malheureusement, la constante augmentation du niveau de CO2 dans l’atmosphère engendre des effets très néfastes pour l’Océan mondial via de nombreux facteurs, certains comme l’acidification des océans ou le réchauffement des eaux de surface (qui provoque le blanchissement des coraux) restent très difficiles à contrôler, sont responsables du dépérissement des écosystèmes coralliens et réussissent par association aux autres menaces et risques locaux (surpêche, pollution, prédation…) à mettre en péril tout un système économique et social fragile.

Fig. 1: Schéma représentatif des liens entre les récifs coralliens, le littoral, la population et les facteurs de stress.

 

Par le passé, les écosystèmes coralliens pouvaient se régénérer entre 2 épisodes de mortalité provoquée par le blanchissement, ce phénomène de décoloration du récif qui résulte de l’expulsion des algues microscopiques symbiotiques abritées par le corail et à l’origine de sa pigmentation.

Fig. 2 : étapes du blanchissement d’une colonie de corail-fleur épineux (Mussa angulosa) : (A) partielle : présence de quelques micro-algues symbiotiques brunes,  (B) complète : absence totale de symbiontes avec quelques parties mortes colonisées par des algues (C). Présence d’un corail de feu blanchi (D).

 

Mais dorénavant, ces épisodes de plus en plus fréquents ne laissent plus aux coraux le temps de se renouveler. Ils se constituent alors en structures moins complexes, immergées (du fait de l’élévation du niveau marin, liée à la fonte des glaciers), n’affleurent plus la surface et sont de ce fait beaucoup moins efficaces pour assurer la protection des littoraux contre les vagues. Ainsi la vie marine autour des récifs s’appauvrit et les ressources alimentaires, nécessaires aux populations côtières, diminuent.

Pour maintenir les services écosystémiques, il faut que les récifs réussissent à s’adapter aux changements climatiques malgré l’augmentation de la température de surface et l’acidification des océans qui rendent difficiles le recrutement et la croissance de jeunes organismes symbiontes. Ces 2 menaces sont d’autant plus dangereuses qu’il est impossible à l’échelle locale de s’en prémunir et d’en assurer le contrôle via des décrets ou des plans de gestion. Cependant des mesures peuvent être prises au plan national, par les pays qui dépendent fortement de ces écosystèmes coralliens. Elles permettront de réduire les émissions de carbone, de diminuer les menaces localement et de restaurer et/ou améliorer d’autres écosystèmes fragiles, également menacés (par ex : les mangroves) qui pourraient alors compenser certaines pertes de services et en minimiser l’impact sur les populations. Il est également nécessaire de prévoir et mettre en place des actions à brève échéance pour protéger les habitants là où les impacts sociaux et écologiques seront les plus importants, particulièrement lorsque sont réunis les facteurs d’augmentation rapide de la température, de forte dépendance de l’Homme aux systèmes coralliens et d’acidification sévère des océans.

Pour mettre en évidence les récifs et populations les plus menacés par l’augmentation du CO2, plusieurs indicateurs caractérisant les futurs probables changements océaniques et le niveau de dépendance de l’Homme à ces écosystèmes, ont été utilisés.

Fig. 3: Dépendance régionale par province océanique aux services écosystémiques et aux menaces liées à l’acidification des océans et à l’augmentation de la température de surface des eaux

 

D’après les résultats obtenus par cartographie de tous les indicateurs combinés, il est maintenant possible d’identifier les pays et régions du globe pour lesquels l’avenir des écosystèmes coralliens et par conséquent des services associés, est menacé. L’Ouest du Mexique, la Micronésie, l’Indonésie, une partie de l’Australie et surtout l’Asie du Sud-Est représentent les futures zones à risques, elles s’avèrent très fortement dépendantes de leurs récifs en cours de blanchissement du fait de l’élévation de la température de surface et de l’acidification des océans dans ces régions. Ces facteurs touchent sans exception mais avec une intensité variable, l’ensemble des écosystèmes coralliens mondiaux qui peuvent être impactés concomitamment (augmentation de la température des eaux de surface + acidification) mais jamais atteints à intensité maximale de chacun des 2 facteurs.

L’utilisation d’outils d’analyses scientifiques (enregistrement des températures, enquête auprès des populations…) permet de prendre conscience des enjeux socio-économiques et écologiques résultant d’une possible disparition des écosystèmes coralliens. Pour contrer ce phénomène, des stratégies politiques à différentes échelles devront être élaborées. Néanmoins, les données scientifiques ne sont pas suffisamment conséquentes pour permettre le suivi précis des menaces locales et mondiales qui pèsent sur la santé des récifs, il est en effet impossible de collecter des données tout autour du globe. Pour déterminer le niveau d’acidification des océans de nombreux éléments sont à prendre en compte, de même il existe beaucoup de facteurs de stress en lien avec l’élévation du CO2. Il est donc important de focaliser les recherches sur des zones reconnues « à risque » afin d’en collecter les données et d’apporter des connaissances scientifiques interdisciplinaires permettant de mieux informer les décisionnaires qui pourront ainsi adapter leur politique.

Pour empêcher toutes répercussions écologiques, sociales et économiques engendrées par la disparition des récifs, il est indispensable de prévoir leurs réactions face aux changements climatiques et d’évaluer la vulnérabilité socio-économique des populations menacées car malgré les efforts fournis pour limiter les impacts écologiques, les dangers sont bien réels. Au stade actuel, une entraide financière et humaine mondiale est absolument nécessaire pour aider la Science à préserver les écosystèmes coralliens.

Médiation scientifique

Assurée par Justine Doré, doctorante de l’Ecole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML) à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), en 1ère année de thèse au Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (LEMAR) à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM)

L’article

Pendleton L, Comte A, Langdon C, Ekstrom JA, Cooley SR, Suatoni L, et al. (2016) Coral Reefs and People in a High-CO2 World: Where Can Science Make a Difference to People? PLoS ONE 11(11): e0164699

https://doi.org/10.1371/journal.pone.0164699

Les auteurs

Ce travail est issu de la collaboration des chercheurs de l’unité de recherché AMURE de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) et des universités de : Miami (Floride, USA), Californie (USA), VU  (Amsterdam), James Cook (Australie), Duke (USA), Colombie-britannique (Canada), Oregon (USA), du comité de défense des ressources naturelles (USA), des programmes de conversation des Océans et de la Nature, des instituts de ressources mondiales et du climat et des satellites,  de la fondation nationale de la vie sauvage et de la NOAA.

La revue

« PLoS ONE » est une revue internationale multidisciplinaire en Open Acess, publiée depuis fin 2006 par Public library of Science.

Contacts

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