L’aquaculture, entre consommation mondiale et production locale

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Depuis quelques décennies et face à l’effondrement des stocks de pêche, les gouvernements et organisations internationales ont placé de nombreux espoirs dans le développement de l’aquaculture : progression de la compétitivité, augmentation durable des revenus, renforcement de la sécurité alimentaire.
En 2012, l’aquaculture a fourni 49% de la production mondiale totale du secteur « Pêches-Aquaculture », elle représente aujourd’hui plus de 30% de l’emploi de ce domaine. Cependant, au-delà d’une apparente réussite et d’une volonté politique générale de développement, elle peine à atteindre son plein potentiel et se voit remise en cause du fait d’impacts environnementaux toujours plus prégnants (pollution chimique, biologique et même visuelle) et de retombées socio-économiques discutables.
Entre les objectifs politiques, économiques et les attentes réelles des populations, le « fossé » se creuse ; l’aquaculture a largement focalisé son développement sur les défis techniques et biologiques (fig.1) mais bien moins sur les enjeux socio-économiques pour les populations concernées (cf. à titre d’ex. les efforts actuels qui tendent vers une intensification durable de la production aquacole), les retombées socio-économiques de ces activités en local restent souvent reléguées au regard des motivations commerciales, écologiques et technologiques.
Ainsi et dans de nombreux cas, le manque d’implication des populations et la faible prise en compte de leurs préoccupations dans les projets de développement du secteur aquacole aboutissent à des conflits sociaux parfois violents.

 

Figure 1. Aquaculture extensive ou intensive : 2 modèles de développement. A- Pêcheurs locaux récoltant des moules vertes en Thaïlande (photo : M. Vakily, WorldFish Center ; B- Collecteur automatisé de moules de ponton en Belgique (photo : W. Versluys).

Dans le monde, plusieurs zones de production aquacole ont connu des mouvements de protestation sociale : en Amérique latine et en Asie dans les années 1990, au Chili en 2012, et même en Norvège – pays phare de l’aquaculture intensive – où certains élus se sont fermement opposés au développement de cette activité, sur leur territoire. Ces conflits illustrent le décalage entre besoins socio-économiques, alimentaires et impacts ressentis par les populations vis-à-vis du développement de l’aquaculture. Le soulèvement de ces populations qui auraient dû en être les premiers bénéficiaires, souligne un important problème lors de l’élaboration des projets : leur manque d’intégration aux processus de planification. En effet, les parties prenantes concernées par l’aquaculture ne sont pas toujours correctement identifiées et, même lorsqu’elles le sont, leur intégration au processus de planification reste marginale. Juridiquement le rôle et les responsabilités des acteurs individuels et institutionnels sont rarement explicitement définis ; de plus les réglementations relatives à l’aquaculture ne sont pas regroupées et viennent s’insérer dans différents secteurs politiques : agriculture, pêche, gestion de l’eau…
Des mesures proactives encourageant la participation des populations à la prise de décisions pourraient contribuer à une meilleure acceptation du secteur aquacole et de sa gestion, avec des répercussions positives sur les collectivités. Cette nécessaire participation du public aux processus de décisions a été reconnue et formalisée au niveau international : communication de la commission européenne sur la Gouvernance en 2001 et déclaration de Phuket par la FAO en 2010…cependant ces déclarations demeurent vagues quant à la manière de mettre en œuvre cette intégration et de traiter concrètement des questions socio-économiques.

Un cadre analytique (fig. 2) est donc proposé pour guider au cas par cas les évaluations des dimensions sociales, économiques et écologiques de l’aquaculture. Il prône la mobilisation de données socio-économiques plus détaillées et spécifiques au contexte des opérations aquacoles, en termes d’emploi (revenus, mixité, etc.), de droits humains (sécurité alimentaire, protection juridique, culture et identité, etc.) et de marchés (pratiques commerciales, contexte micro et macro-économique, privatisation, etc.).
Afin de parvenir à un développement de l’aquaculture politiquement transparent et socialement légitime, ces facteurs devraient être pris en compte lors de la définition des objectifs politiques et de la mise en œuvre des mécanismes de gestion.

Une participation citoyenne à la décision est préconisée, via 4 étapes clés des projets :
1. En amont, par l’évaluation du contexte et des enjeux écologiques, socio-économiques et politiques du territoire concerné.
2. Lors du choix spécifique du système aquacole, en terme d’investissement, de mode de production et de productivité, de main d’œuvre, de commercialisation, etc.
3. Pendant la phase de production lors de l’évaluation intégrée des bénéfices (écologiques, socio-économiques et politiques).
4. Lors de la révision des projets ou de la mise en œuvre de mesures répondant aux problématiques identifiées durant les étapes précédentes.

Figure 2 – Analyse intégrée des systèmes aquacoles : approche en 4 étapes

Bien que les impacts sociaux de la réglementation restent difficiles à prévoir et évaluer, ce nouveau cadre d’analyse est conçu pour utiliser au mieux les données existantes, les avis d’experts et les outils scientifiques à la prise de décision. Il s’applique à de multiples échelles spatiales (des fermes aquacoles aux impacts globaux) et soutient la mise en œuvre, dans la pratique, d’une approche intégrée. A terme, ce cadre pourrait donc être généralisé à différents types de production aquacole dans divers écosystèmes et servir de catalyseur à la « révolution politique » en permettant une prise de décisions participatives au développement de l’aquaculture et en œuvrant à combler l’écart entre politiques et populations. Une prise en compte à niveau égal des questions écologiques, sociales et économiques dans l’élaboration des politiques aquacoles, s’avère nécessaire pour répondre correctement aux nouveaux enjeux de l’aquaculture ; elle devrait être encouragée et formalisée au travers d’institutions solides, dès les premiers pas des projets.

 

Médiation scientifique

Assurée par Clément Dupont, doctorant de l‘École Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 1ère année de thèse au sein du Laboratoire Littoral-Environnement-Télé-détection-Géomatique (LETG- UMR 6554).

L’article

A revolution without people? Closing the people-policy gap in aquaculture development. Krause G., Brugere C., Dietrich A., Ebeling M.W., Ferse Sebastian C.A., Mikkelsen E., Pérez Agúndez J.A., Stead S.M., Stybel N., Troell M. (2015), Aquaculture, 447, pp. 44-55. https://doi.org/10.1016/j.aquaculture.2015.02.009

Les auteurs

Ce travail résulte d’une collaboration entre 10 chercheurs issus de 11 laboratoires européens et d’1 laboratoire australien. Au niveau français, notons la contribution de l’UMR AMURE (Ifremer, UBO, CNRS), spécialisée en droit – économie de la mer et représentée par J.A. Pérez Agúndez dans cet article.

La revue

Aquaculture éditée par Elsevier, est une revue internationale, interdisciplinaire qui permet d’échanger sur les enjeux techniques, économiques, écologiques, sociaux et politiques de l’aquaculture.

Contacts

Auteurs : consulter l’annuaire de l’IUEM
Bibliothèque La Pérouse (BLP) : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier
Service Communication : communication.iuem@univ-brest.fr

 

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Récif de corail : le futur paradis perdu ?

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Le dioxyde de carbone (CO2) connu comme gaz à effet de serre, est l’un des acteurs important du réchauffement climatique, il augmente avec régularité depuis plusieurs décennies entrainant dans son sillage des effets dommageables pour tous et à toute échelle de la biodiversité, des micro-organismes jusqu’ à l’Homme. Les récifs coralliens sont parmi les premiers à le subir et à en répercuter l’impact sur des millions de personnes dépendantes de leur écosystème. En effet ces récifs ne constituent pas seulement le biotope de nombreuses espèces marines, ils protègent également les populations locales et leurs habitations de la destruction par les eaux et procurent de multiples avantages essentiels, également appelés services écosystémiques, en matière de pêcherie, tourisme, emplois …etc.

Malheureusement, la constante augmentation du niveau de CO2 dans l’atmosphère engendre des effets très néfastes pour l’Océan mondial via de nombreux facteurs, certains comme l’acidification des océans ou le réchauffement des eaux de surface (qui provoque le blanchissement des coraux) restent très difficiles à contrôler, sont responsables du dépérissement des écosystèmes coralliens et réussissent par association aux autres menaces et risques locaux (surpêche, pollution, prédation…) à mettre en péril tout un système économique et social fragile.

Fig. 1: Schéma représentatif des liens entre les récifs coralliens, le littoral, la population et les facteurs de stress.

 

Par le passé, les écosystèmes coralliens pouvaient se régénérer entre 2 épisodes de mortalité provoquée par le blanchissement, ce phénomène de décoloration du récif qui résulte de l’expulsion des algues microscopiques symbiotiques abritées par le corail et à l’origine de sa pigmentation.

Fig. 2 : étapes du blanchissement d’une colonie de corail-fleur épineux (Mussa angulosa) : (A) partielle : présence de quelques micro-algues symbiotiques brunes,  (B) complète : absence totale de symbiontes avec quelques parties mortes colonisées par des algues (C). Présence d’un corail de feu blanchi (D).

 

Mais dorénavant, ces épisodes de plus en plus fréquents ne laissent plus aux coraux le temps de se renouveler. Ils se constituent alors en structures moins complexes, immergées (du fait de l’élévation du niveau marin, liée à la fonte des glaciers), n’affleurent plus la surface et sont de ce fait beaucoup moins efficaces pour assurer la protection des littoraux contre les vagues. Ainsi la vie marine autour des récifs s’appauvrit et les ressources alimentaires, nécessaires aux populations côtières, diminuent.

Pour maintenir les services écosystémiques, il faut que les récifs réussissent à s’adapter aux changements climatiques malgré l’augmentation de la température de surface et l’acidification des océans qui rendent difficiles le recrutement et la croissance de jeunes organismes symbiontes. Ces 2 menaces sont d’autant plus dangereuses qu’il est impossible à l’échelle locale de s’en prémunir et d’en assurer le contrôle via des décrets ou des plans de gestion. Cependant des mesures peuvent être prises au plan national, par les pays qui dépendent fortement de ces écosystèmes coralliens. Elles permettront de réduire les émissions de carbone, de diminuer les menaces localement et de restaurer et/ou améliorer d’autres écosystèmes fragiles, également menacés (par ex : les mangroves) qui pourraient alors compenser certaines pertes de services et en minimiser l’impact sur les populations. Il est également nécessaire de prévoir et mettre en place des actions à brève échéance pour protéger les habitants là où les impacts sociaux et écologiques seront les plus importants, particulièrement lorsque sont réunis les facteurs d’augmentation rapide de la température, de forte dépendance de l’Homme aux systèmes coralliens et d’acidification sévère des océans.

Pour mettre en évidence les récifs et populations les plus menacés par l’augmentation du CO2, plusieurs indicateurs caractérisant les futurs probables changements océaniques et le niveau de dépendance de l’Homme à ces écosystèmes, ont été utilisés.

Fig. 3: Dépendance régionale par province océanique aux services écosystémiques et aux menaces liées à l’acidification des océans et à l’augmentation de la température de surface des eaux

 

D’après les résultats obtenus par cartographie de tous les indicateurs combinés, il est maintenant possible d’identifier les pays et régions du globe pour lesquels l’avenir des écosystèmes coralliens et par conséquent des services associés, est menacé. L’Ouest du Mexique, la Micronésie, l’Indonésie, une partie de l’Australie et surtout l’Asie du Sud-Est représentent les futures zones à risques, elles s’avèrent très fortement dépendantes de leurs récifs en cours de blanchissement du fait de l’élévation de la température de surface et de l’acidification des océans dans ces régions. Ces facteurs touchent sans exception mais avec une intensité variable, l’ensemble des écosystèmes coralliens mondiaux qui peuvent être impactés concomitamment (augmentation de la température des eaux de surface + acidification) mais jamais atteints à intensité maximale de chacun des 2 facteurs.

L’utilisation d’outils d’analyses scientifiques (enregistrement des températures, enquête auprès des populations…) permet de prendre conscience des enjeux socio-économiques et écologiques résultant d’une possible disparition des écosystèmes coralliens. Pour contrer ce phénomène, des stratégies politiques à différentes échelles devront être élaborées. Néanmoins, les données scientifiques ne sont pas suffisamment conséquentes pour permettre le suivi précis des menaces locales et mondiales qui pèsent sur la santé des récifs, il est en effet impossible de collecter des données tout autour du globe. Pour déterminer le niveau d’acidification des océans de nombreux éléments sont à prendre en compte, de même il existe beaucoup de facteurs de stress en lien avec l’élévation du CO2. Il est donc important de focaliser les recherches sur des zones reconnues « à risque » afin d’en collecter les données et d’apporter des connaissances scientifiques interdisciplinaires permettant de mieux informer les décisionnaires qui pourront ainsi adapter leur politique.

Pour empêcher toutes répercussions écologiques, sociales et économiques engendrées par la disparition des récifs, il est indispensable de prévoir leurs réactions face aux changements climatiques et d’évaluer la vulnérabilité socio-économique des populations menacées car malgré les efforts fournis pour limiter les impacts écologiques, les dangers sont bien réels. Au stade actuel, une entraide financière et humaine mondiale est absolument nécessaire pour aider la Science à préserver les écosystèmes coralliens.

Médiation scientifique

Assurée par Justine Doré, doctorante de l’Ecole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML) à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), en 1ère année de thèse au Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (LEMAR) à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM)

L’article

Pendleton L, Comte A, Langdon C, Ekstrom JA, Cooley SR, Suatoni L, et al. (2016) Coral Reefs and People in a High-CO2 World: Where Can Science Make a Difference to People? PLoS ONE 11(11): e0164699

https://doi.org/10.1371/journal.pone.0164699

Les auteurs

Ce travail est issu de la collaboration des chercheurs de l’unité de recherché AMURE de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) et des universités de : Miami (Floride, USA), Californie (USA), VU  (Amsterdam), James Cook (Australie), Duke (USA), Colombie-britannique (Canada), Oregon (USA), du comité de défense des ressources naturelles (USA), des programmes de conversation des Océans et de la Nature, des instituts de ressources mondiales et du climat et des satellites,  de la fondation nationale de la vie sauvage et de la NOAA.

La revue

« PLoS ONE » est une revue internationale multidisciplinaire en Open Acess, publiée depuis fin 2006 par Public library of Science.

Contacts

Auteurs : consulter l’annuaire de l’IUEM
Bibliothèque La Pérouse (BLP) : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier
Service Communication : communication.iuem@univ-brest.fr