Le recul du littoral breton, une problématique importante face aux changements climatiques

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La problématique actuelle de l’érosion côtière, bien visible sur le territoire breton, conduit les scientifiques à améliorer leurs connaissances sur l’évolution des littoraux. De nombreuses études ont montré que les processus qui gouvernent les évolutions des côtes d’accumulation (les avant-plages, les plages de sables et de galets, et les dunes qui les prolongent sur le continent) sont largement dépendants des échelles spatio-temporelles des observations effectuées. Dans les années 1980, 5 échelles d’observations temporelles ont été définies. Le long terme est utilisé pour décrire les évolutions à l’échelle pluridécennale, tandis que les méso et moyen termes sont employés pour caractériser les échelles décennale et pluriannuelle. Le court terme définit l’échelle saisonnière et le terme événementiel est associé aux événements de tempête qui ne durent que quelques heures. Plusieurs problématiques concernent ces échelles temporelles. Premièrement, il est difficile de décrire les changements morphologiques d’une zone littorale lorsque celle-ci est soumise à des processus opérant à plusieurs échelles de temps. Deuxièmement, les événements de courte durée et, généralement, de forte intensité peuvent avoir un impact conséquent et parfois discordant par rapport aux variations enregistrées sur le long terme.

En dépit des difficultés rencontrées dans l’utilisation des échelles spatio-temporelles, leur prise en compte est importante. En effet, la compréhension des processus observés et associés à chaque échelle est devenue essentielle pour prédire l’évolution morpho-sédimentaire du domaine côtier afin d’améliorer la gestion des littoraux. C’est pourquoi ces travaux visent à caractériser la dynamique des accumulations côtières bretonnes, et plus particulièrement celles des systèmes plages/dunes, des plages de sables et de galets et des cordons de galets.

La Bretagne, située à l’extrémité occidentale de la France métropolitaine, compte 2 470 km de côtes répartis sur 3 façades maritimes, nord, ouest et sud. Cette côte est accidentée et présente une alternance de rivages rocheux et de baies constituées de sables et/ou de galets. On y dénombre de nombreuses cellules littorales avec une diversité d’environnements lithologiques et morphologiques, d’hydrodynamisme et de nature des fonds.

Figure 1 : Localisation et granulométrie des côtes d’accumulation le long de la Bretagne. La longueur du littoral couverte par chaque classe granulométrique et les pourcentages correspondants sont donnés pour chacun des départements bretons (Stéphan et al., 2019).

Ces côtes se composent à 71 % de plages sableuses (principalement composées de dunes situées dans le Finistère et le Morbihan), 16 % de plages de galets (Côte d’Armor : 37,5 % et Finistère : 22,5 %) et 13 % de plages mixtes composées de sables et de galets (Figure 1). L’influence des agents hydrodynamiques comme la marée et la houle y est prédominante. La marée, de type méso à macrotidale, présente des variations importantes entre le nord-est et l’ouest. Le marnage maximal atteint 14 m lors des marées de vive-eau dans la baie du Mont-Saint-Michel. Il diminue progressivement vers l’ouest et le sud pour atteindre une valeur minimale de 3,3 m dans le golfe du Morbihan. La houle y est de forte énergie avec des variations saisonnières importantes à l’Ouest. Les houles hivernales d’ouest-nord-ouest dépassent régulièrement 5 m de hauteur. Depuis le XVIIIe siècle, les activités humaines n’ont cessé d’impacter l’hydrodynamisme et les transferts de sédiments littoraux par la construction d’infrastructures de défense (digues, épis…) mais aussi par l’exploitation des ressources en sable et galets disponibles dans la zone côtière.

Figure 2 : Méthodologie d’analyse des changements du trait de côte à long, moyen et court terme (Stéphan et al., 2019).

Afin de caractériser les évolutions morphodynamiques des côtes d’accumulations bretonnes, un suivi du trait de côte de différentes plages, a été réalisé à plusieurs échelles de temps. Le suivi à long terme a été réalisé sur 652 plages à partir de la comparaison de photographies aériennes provenant de la base de données IGN (Institut Géographique National), BDORTHO® Historique de 1948 ou de 1952, et de BD ORTHO®2010 de 2006 ou 2009. Le suivi à moyen terme a été mené sur 5 plages représentatives de l’ensemble des côtes bretonnes, sur lesquelles l’évolution du trait de côte a été retracé par comparaison de photographies aériennes (IGN) prises tous les 5 ans sur une période de 60 ans (1948-2013). Le suivi à court terme a été effectué sur 11 sites d’études à partir de mesures topo-morphologiques réalisées à hautes fréquences, au tachéomètre ou au DGPS (Differential Global Positioning System), sur une période allant de 1998 à 2017 (Figure 2). L’identification du trait de côte, pour le suivi de l’évolution littorale, peut s’avérer complexe, car celui-ci peut apparaitre sous plusieurs formes (dunes, plages, falaises). Afin de faciliter sa détermination, il est généralement classé en 3 grandes catégories suivant des limites morphologiques, biologiques et hydrologiques. Dans le cas présent, les limites ont été définies à partir de la morphologie du terrain correspondant à la ligne de végétation (la plus proche de la mer ou supratidale), les escarpements d’érosion ou encore la ligne de crête des cordons de galets.

Cette étude est la première à référencer les variations du trait de côte sur les 60 dernières années à l’échelle des plages de la Bretagne. Plusieurs tendances ont été identifiées lors de l’analyse morpho-dynamique du trait de côte aux différentes échelles de temps. L’analyse à long terme (Figure 3) a permis de mettre en évidence que 35 % des plages de sables et de galets sont en érosion, 38 % sont stables et 27 % en accrétion. Les phénomènes d’érosion les plus marqués sont identifiés au niveau des cordons de galets, probablement en raison d’un manque d’apport sédimentaire au niveau de la région Bretagne. Les changements à long terme des plages sableuses sont plus contrastés et tout indique que la présence de stocks sableux au large permettrait leur rechargement en sédiment. Les impacts anthropiques ont localement aggravé l’érosion ou, au contraire, favorisé l’accrétion des plages sans pour autant que l’on soit capable de les quantifier à l’échelle régionale.

Figure 3 : Évolution à long terme du trait de côte (1949-1952 et 2006-2009) de 652 plages bretonnes. Les lettres, de A à U, correspondent aux plages présentant des changements significatifs (Stéphan et al., 2019).

Les analyses à moyen terme (Figure 4) montrent que les plages ont connu un recul important du trait de côte. Il est quasi-régulier pour certaines, ou interrompu par des périodes de stabilité pour d’autres. Quelques-unes des plages étudiées montrent des changements plus complexes, caractérisés par la succession de périodes de retraits et d’avancées significatives reflétant l’alternance de courtes périodes d’érosion puis d’accumulation des systèmes plage/dune. Six périodes d’érosion majeures ont été identifiées de 1962 à 2014 (1962-1968, 1977-1978, 1980-1985, 1987-1990, 1993-1997, et 2013-2014), en lien avec l’augmentation de la fréquence des niveaux d’eau extrêmes. Cela démontre que les changements du trait de côte à moyen terme sont intimement liés aux variations météo-océaniques.

Figure 4 : Changements à moyen terme du littoral le long de la côte bretonne. (a) Variabilité temporelle au cours des dernières décennies pour cinq plages représentatives. (b) périodes dominées par l’accrétion/stabilité et périodes dominées par l’érosion pour les cinq plages étudiées. (c) Fréquence annuelle (moyenne mobile sur trois ans) des niveaux d’eau dépassant les quantiles suivant, Q 99% (1% des niveaux d’eau les plus hauts), Q 99,5% (0,5 % des niveaux d’eau les plus hauts) et Q 99,9% (0,1% des niveaux d’eau les plus hauts) entre 1948 et 2016 dans le nord-ouest de la Bretagne (Stéphan et al., 2019).

L’analyse à court terme renforce ces résultats en montrant également le lien étroit entre les périodes d’érosion et les événements tempétueux. Les périodes d’accrétion ou de stabilité sont, quant à elles, associées à des périodes plus calmes. Depuis 1998, cinq événements tempétueux majeurs et très érosifs ont été identifiés. Les tempêtes de l’hiver 2013-2014 apparaissent comme les plus morphogènes.

Ainsi les principales périodes d’érosion côtière en Bretagne au cours des 60 dernières années sont associées avec une augmentation de la fréquence des niveaux marins extrêmes et la raréfaction des apports en matériel sédimentaire ; à moyen terme, l’évolution des accumulations littorales est contrôlée par la variabilité météo-océanique ; enfin, à court terme elle est liée aux événements tempétueux significatifs. L’identification des processus, qui jouent un rôle dans les variations de la position du littoral, est une clé de compréhension pour une meilleure gestion des évolutions des accumulations littorales bretonnes. Cette connaissance devient particulièrement importante dans un contexte de changement climatique associé à l’élévation du niveau de la mer et à l’augmentation des événements tempétueux morphogènes.

Médiation scientifique

Assurée par Belleney Déborah, doctorante de l’École Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 3ème année de thèse en Géographie au sein du laboratoire Littoral, Environnement, Géomatique, Télédétection (LETG), à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM).

L’article 

Stéphan, P., Blaise, E., Suanez, S. S., Fichaut, B., Autret, R., Floc’H, F., Madec Cuq, V., Le Dantec, N., Ammann, J., David, L., Jaud, M., & Delacourt, C. (2019). Long, medium, and short-term shoreline dynamics of the Brittany coast (Western France). Journal of Coastal Research, Special Issue No. 88, 89‑109.

Les auteurs 

L’article présenté est le travail de Pierre Stéphan (LETG – Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique), Emmanuel Blaise (LIENSs – LIttoral ENvironnement et Sociétés – UMRi 7266 ), Serge Suanez (LETG – Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique), Bernard Fichaut (LETG – Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique), Ronan Autret (LETG – Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique), France Floc’h (LGO – Laboratoire Géosciences Océan ), Véronique Madec Cuq (LETG – Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique), Nicolas Le Dantec (LGO – Laboratoire Géosciences Océan et Cerema – Centre d’Etudes et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement), Jérôme Ammann (LGO – Laboratoire Géosciences Océan ),  Laurence David (LETG – Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique), Marion Jaud (IUEM – Institut Universitaire Européen de la Mer ), Christophe Delacourt (LGO – Laboratoire Géosciences Océan).

La revue 

« Journal of Coastal Research » ou JCR est une revue scientifique internationale consacrée à la recherche sur les études côtières et est publiée par la Coastal Education and Research Foundation (CERF). Le JCR englobe tous les sujets relatifs aux environnements naturels et aménagés (eau douce, saumâtre ou marine) et à la protection/gestion de leurs ressources à proximité des côtes.

Crédit photo

Adeline Maulpoix / CNRS

Contacts

Déborah Belleney / UBO

Les auteurs (voir annuaire de l’IUEM)

 

 

 

“La” pêche : question de genre ?

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Les conventions et accords internationaux relatifs à la gestion des ressources naturelles portent, depuis quelques années, une attention croissante aux réalités de la vie des hommes et femmes du secteur de la pêche, et l’égalité des sexes en constitue un objectif non négligeable. Cependant les données en sciences sociales, liées à la contribution des femmes dans ce domaine d’activités, restent éparses. En effet la plupart des travaux sont réalisés dans le cadre des sciences naturelles (écologie, biologie…) et halieutiques plutôt orientées vers la gestion des stocks et des ressources, avec pour principal objectif la maîtrise de l’effort de pêche, via de nouvelles réglementations.

Quelles que soient les régions du monde, les femmes jouent un rôle important dans les nombreuses tâches liées à la pêche. Elles restent cependant plus particulièrement impliquées dans les activités spécifiquement côtières et les pêcheries artisanales de taille modeste. Afin d’améliorer la visibilité de leurs nombreuses contributions dans ce secteur d’activités, le groupe de travail “Gendered Seas” de l’action COST  “Ocean Past Platform” et le cluster “Women & Gender in Fisheries” du réseau “Too Big To Ignore”, ont collecté et agrégé des travaux de recherche récents, décrivant ces nombreuses expériences.

Cette diversité est illustrée au travers d’études de cas, conduites entre 2007 et 2018, et qui concernent des régions et des populations variées ; le travail réalisé dans le cadre de chaque thématique de recherche est contextuel et empirique, il dépend en effet de nombreux facteurs spécifiques à la région étudiée : son histoire, ses ressources, son contexte social… Cependant, la mise en parallèle des résultats des différentes études permet d’aboutir à des observations plus générales sur les spécificités du rôle des femmes dans le secteur des pêches.

Deux études réalisées dans les îles Salomon et aux Philippines mettent en avant le clivage du travail par genre. Les femmes restent bien davantage impliquées dans la collecte de coquillages, la récolte de poissons et autres activités à caractère littoral, tandis que les hommes utilisent les bateaux et partent en mer. Les activités des femmes sont perçues comme des apports financiers complémentaires qui permettent d’assurer la subsistance de la famille lorsque les revenus des hommes viennent à n’être pas suffisants.

Figure 1 : Exemple d’activités typiquement féminines dans les îles Salomon :  fabrication et vente de bijoux et monnaies en coquillages collectés localement. Photo : K. Barclay, N. McClean, Univ. tech. Sydney, Australie. Extrait de Barclay et al., 2018. Lagoon livelihoods: gender and shell money in Langalanga, Solomon Islands.

Dans les pays du nord de l’Europe, l’organisation du travail a également évoluée. Une étude réalisée en Finlande montre que si les femmes de marins étaient traditionnellement employées dans les usines de transformation de poissons, de nos jours elles recherchent préférentiellement à compléter les revenus familiaux par un travail salarié et durable dans le tertiaire.

Ainsi dans chaque région étudiée et malgré leur forte implication dans le secteur de la pêche, la représentation des femmes au sein des institutions locales de gestion des ressources reste anecdotique. Le travail côtier plus spécifiquement féminin est certainement l’une des raisons de cet état de fait, il est en effet moins valorisé économiquement que la pêche au large qui revient aux hommes. Pourtant, l’activité littorale est souvent cruciale pour la subsistance des familles concernées, soit parce qu’elle permet la consommation directe des poissons ou coquillages pêchés, soit du fait des revenus générés par la vente de ces produits. Le manque d’influence des femmes sur la gestion des ressources dont elles dépendent peut concourir à la perte de leurs activités. En effet, si les différentes réglementations mises en place prennent bien en considération les problématiques liées à la pêche au large, elles laissent souvent totalement de côté les activités de récolte côtières.

Dans la région du lagon de Roviana (îles Salomon), une interdiction de pêche a été décidée pour une partie du lagon dans le cadre d’un programme de conservation régionale. Cette décision a été prescrite par une organisation communautaire, en lien avec le comité de gestion locale et les chefs coutumiers. Au sein de cette société au fonctionnement très patriarcal où la majorité des décisionnaires sont des hommes, l’avis des femmes, quand il est exprimé, n’est pas pris en compte. Ainsi l’interdiction qui concernait une zone de pêche importante pour les pratiques des femmes, les amenait soit à enfreindre les règles et donc à se mettre en faute, soit à renoncer à un apport alimentaire ou financier non négligeable pour leur foyer.

A contrario une étude de cas réalisée au Chili montre qu’il est possible pour des collectifs de femmes de se structurer et de faire entendre leur voix. Les ramasseuses d’algues de Coliumo se sont organisées pour faire valoir leurs compétences et réclamer l’usage exclusif des zones maritimes littorales, dans le cadre du système national TURFs (Territorial Use Rights for Fishing). Elles ont démontré non seulement leurs capacités à récolter des algues, mais aussi à négocier et gérer efficacement les ressources. Plutôt que d’être marginalisées voire exclues par des décisions prises sans elles, elles se sont émancipées, ont assuré la gestion des ressources dont elles dépendent et ainsi augmenté les revenus liés à leur activité de récolte.

Figure 2 : Carte issue de Google Earth Map adaptée par le sous-secrétariat des pêches du Chili. Elle représente les trois zones maritimes TURFs de Coliumo gérées par des collectifs de femmes, la zone jaune étant en cours de validation. Extrait de Gallardo, Sauders 2018 : Women’s entrance into artisanal fisheries in Chile.

Toutes les études réalisées soulignent bien l’importance du travail des femmes dans le secteur de la pêche, mais démontrent surtout le manque de représentativité dont elles sont victimes, leur travail demeurant moins considéré que celui des hommes qui partent pêcher en mer. Cependant les initiatives qui vont dans le sens de leur émancipation, sont de plus en plus fréquentes. Ces différentes observations devraient permettre d’éclairer les décisions politiques à venir et de servir de référence aux futures études sur l’évolution de la position des femmes dans ce secteur économique. “La” pêche pourrait ainsi revendiquer bien davantage son genre féminin.

Médiation scientifique

Assurée par Blandine Trouche, doctorante de l’École Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 4ème année de thèse en Microbiologie au sein du Laboratoire de Microbiologie des Environnements Extrêmes (LMEE), à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM).

L’article 

Frangoudes, K., Gerrard, S. (En)Gendering Change in Small-Scale Fisheries and Fishing Communities in a Globalized World. Maritime Studies 17, 117–124 (2018).

https://doi.org/10.1007/s40152-018-0113-9

Les auteurs 

L’article présenté est le travail de Katia Frangoudes, chercheure à l’Université de Bretagne Occidentale au sein du laboratoire AMURE (Aménagement des Usages des Ressources et des Espaces marins et littoraux), et Siri Gerrard, professeure à l’Université de Tromsø et membre du Centre for Women and Gender Research.

La revue 

« Maritime Studies » ou MAST (https://www.springer.com/journal/40152) est une revue internationale produite par le Centre pour la Recherche Maritime (MARE). Centrée plus particulièrement sur les sciences sociales, cette revue interdisciplinaire se veut une plateforme pour la discussion académique des affaires côtières ou marines.

Contacts

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Bibliothèque La Pérouse : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier

Service Communication et médiation scientifique : communication.iuem@univ-brest.fr

Les dinokystes : des capsules in-temporelles

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Les Dinoflagellés sont des microorganismes unicellulaires qui se développent dans les 50 premiers mètres de la colonne d’eau océanique mais également au sein de nombreux écosystèmes aquatiques : lacs, rivières et estuaires. Si certaines espèces de ces microalgues ont quelquefois mauvaise réputation (Alexandrium minutum par ex., qui peut provoquer des intoxications alimentaires sévères), elles représentent cependant d’excellents modèles pour la reconstitution des environnements et climats passés.

Pour 10% des espèces connues (2000 sont actuellement répertoriées), le cycle de reproduction annuel aboutit à la formation d’un œuf (zygote) enveloppé d’une structure protectrice, le dinokyste, dont la morphologie est spécifique à chaque taxon. Ces kystes protègent temporairement la cellule de conditions environnementales hostiles, via un enfouissement dans les sédiments de surface. Au bout d’un certain temps, la cellule déchire le kyste (cf. fig.1) pour rejoindre la colonne d’eau, abandonnant derrière elle une coquille vide. Certains dinokystes sont si résistants qu’ils se fossilisent et traversent ainsi les différentes ères géologiques comme de véritables capsules temporelles.

De nombreux critères morphologiques permettent de classifier et de dater les kystes, comme la déchirure (archéopyle) provoquée par la libération de la cellule (cf. fig. 1). De même le processus de fossilisation des dinokystes, immuable depuis des millions d’années, nous renseigne sur les évènements naturels passés (modifications climatiques, extinction ou diversification des espèces) et ce à des échelles temporelles fines (de l’ordre du millénaire).

Figure 1 : Dinokyste (forme du milieu du Crétacée -145 à -66 Ma), à noter : la morphologie caractéristique du kyste et de l’archéopyle (triangle noir).

Par ailleurs, la répartition géographique des espèces de dinoflagellés (et donc de dinokystes) dans les eaux de surface répondant à différentes contraintes écologiques de température, salinité, concentration en nutriments… ces kystes représentent d’excellentes sources d’informations sur les conditions environnementales et climatiques (ère glaciaires, réchauffements climatiques) qui prévalaient là et au moment où s’est développée la cellule.

Si certaines espèces sont présentes dans toutes les mers du globe, d’autres sont cantonnées à des zones géographiques plus restreintes (l’Océan Arctique et ses eaux froides par ex., pour Islandium minutum). A partir de ce constat et via des outils statistiques, les chercheurs ont rapproché certains paramètres environnementaux, des populations de kystes estimées et quantifiées à partir des sédiments de surface. Ces différentes espèces sont ainsi utilisées comme marqueurs des conditions environnementales, antérieures (Islandium minutum véritable “paléo thermomètre”). Cette approche “actualiste” qui considère que les processus écologiques restent identiques au cours du temps, apporte une meilleure compréhension des fines variations climatiques du passé.

Plus concrètement, l’utilisation de kystes comme biomarqueurs a permis d’étudier l’évolution du climat en Atlantique nord pour la dernière période glaciaire (-70 000 à -15 000 ans). L’espèce Bitectatodinium tepikiense par ex. est connue pour sa particulière affinité avec les eaux de surface très froides ; sa présence dans les différentes strates d’une carotte sédimentaire prélevée au sud de la mer de Norvège (cf. fig. 2a), a permis aux chercheurs de mettre en évidence des pics d’abondances périodiques de l’espèce, dans cette zone géographique. Suivant cette même approche, il a également été possible de détecter (jusqu’au Sud du Portugal) de brèves alternances de réchauffements et refroidissements climatiques, concrétisées par l’effondrement des calottes en période glaciaire et le développement de dinoflagellés ayant des affinités pour les eaux relativement douces et froides (cf. fig. 2c).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 2 : En haut : évolution du pourcentage de certains taxons dinokystes sur les 4 carottes au cours des derniers 35 000 ans. Corrélation entre présence/absence de certains kystes (a, b, c, d) et certains paramètres environnementaux majeurs comme : a’ : température de surface en hiver et durée annuelle du couvert de glace de mer et b’ : concentration en kystes et salinité de l’eau de mer. En bas : trajectoire des courants en Atlantique Nord lors de la dernière période glaciaire avec position des 4 carottes sédimentaires étudiées.

Les dinokystes constituent par ailleurs d’excellents indicateurs d’eutrophisation du milieu (déséquilibre nutritif induit par un apport excessif d’azote et de phosphore). Des travaux récents s’intéressant à l’évolution des pratiques agricoles avant et après la 2nde guerre mondiale ont permis, par l’étude d’une carotte sédimentaire prélevée en baie de Daoulas (Finistère), de rapprocher les populations de kystes fossilisés, des données physico chimiques (climat, précipitations, nitrates, etc.) répertoriées localement durant plusieurs décennies (cf. fig. 3), les changements des pratiques agricoles au fil du temps ont ainsi pu être analysées. Ces études rétrospectives permettent de mieux appréhender l’impact des variations climatiques ou anthropiques (agriculture et utilisation intensive d’engrais par exemple, déforestation, pollution, etc.) sur l’évolution des écosystèmes côtiers et notamment à des échelles de temps où les séries sédimentaires pallient l’absence de relevés “modernes”.

Figure 3 : Suivi temporel des populations de 3 espèces de dinoflagellés et des paramètres physico-chimiques, en rade de Brest depuis 1870.

Enfin, il apparait que le développement excessif d’Alexandrium minutum en rade de Brest, semble effectivement corrélé au réchauffement du climat et aux apports excessifs en nitrates. Grace aux analyses par quantification d’ADN extracellulaire fossilisé dans les sédiments, les connaissances sur l’écologie de cette espèce s’affinent et vont permettre à terme, d’éclaircir l’ensemble des mécanismes inhérents à sa prolifération excessive, observée depuis ces dernières décennies (cf. fig. 3).

De la reconstitution des climats passés aux variations climatiques actuelles en passant par la surveillance des écosystèmes côtiers, les kystes de dinoflagellés constituent donc de formidables outils à disposition de nombreuses disciplines scientifiques. Ils nous amènent également à porter un regard différent sur un groupe de microorganismes dont la réputation sulfureuse est encore bien “enkystée”.

Médiation scientifique 

Assurée par Marc Cozannet, doctorant de l’Ecole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 3ème année de thèse au Laboratoire de Microbiologie des Environnements Extrêmes (LM2E), à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM).

L’article 

Penaud Aurélie, William Hardy, Clément Lambert, Fabienne Marret, Edwige Masure, Thomas Servais, Raffaele Siano, Mélanie Wary, et Kenneth Neil Mertens. « Dinoflagellate Fossils: Geological and Biological Applications ». Revue de Micropaléontologie, 60th Anniversary, 61, no 3 (1 décembre 2018): 235 54. https://doi.org/10.1016/j.revmic.2018.09.003.

Les auteurs 

Penaud Aurélie, William Hardy et Clément Lambert : UMR 6538 Géosciences Océan, IUEM, Université Brest, CNRS, 29280 Plouzané, France (https://www-iuem.univ-brest.fr/lgo/) ; Fabienne Marret : Department of Geography and Planning, School of Environmental Sciences, University of Liverpool, L69 7ZT Liverpool, UK  ; Edwige Masure : Centre de Recherche sur la Paléobiodiversité et les Paléoenvironnements, CR2P, UMR 7207, MNHN, CNRS, Sorbonne université, 4, place Jussieu, 75005 Paris, France ; Thomas Servais : CNRS UMR 8198 Evo-Eco-Paleo, Université Lille, 59000 Lille, France (http://eep.univ-lille.fr/) ; Raffaele Siano : Ifremer, Centre de Brest, DYNECO PELAGOS, 29280 Plouzané, France (https://wwz.ifremer.fr/dyneco/) ; Mélanie Wary : UMR 5805 EPOC (Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux), Université Bordeaux, CNRS, EPHE, 33615 Pessac, France (https://www.epoc.u-bordeaux.fr/) et Institute of Environmental Science and Technology (ICTA), Universitat Autònoma de Barcelona, 08193 Bellaterra, Catalonia, Spain  ; Kenneth Neil Merten : Ifremer, LER BO, Station de Biologie Marine, place de la Croix, BP 40537, 29185 Concarneau cedex, France (https://wwz.ifremer.fr/lerbo).

La revue 

La « Revue de Micropaléontologie » (https://www.journals.elsevier.com/revue-de-micropaleontologie) est éditée par Elsevier. Elle publie des articles originaux d’intérêt international concernant tous les domaines de la micropaléontologie.

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“Le thon c’est bon”… mais sans mercure !

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Le mercure, élément chimique classé “extrêmement préoccupant pour la santé” selon l’OMS, s’infiltre dans notre alimentation par la consommation de certains poissons comme le thon. Comprendre les origines de cette contamination représente donc un enjeu de santé publique majeur.

Rejeté dans l’atmosphère par le volcanisme mais surtout par les activités humaines comme la combustion du charbon, le mercure finit par se déposer à la surface de l’Océan. Une fraction est convertie par transformations chimiques, en méthylmercure, substance aisément assimilée par le phytoplancton à la base du réseau alimentaire et qui s’accumule de maillon en maillon (processus de bioaccumulation) jusqu’aux prédateurs supérieurs (le thon par exemple).

Or le méthylmercure est une substance toxique pour l’homme et tout particulièrement pour l’enfant et le nourrisson. Elle impacte le système nerveux central et peut, à partir de certaines doses, endommager la mémoire, la cognition, l’attention ou encore le langage. On estime que tous les individus présentent, au minimum, des traces de méthylmercure dans leurs tissus, preuve de son omniprésence dans l’environnement et de l’exposition conséquente à ce composé, via la consommation de poissons et de crustacés.

Pour connaître les paramètres qui influencent les concentrations en méthylmercure, des chercheurs de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), de la Communauté du Pacifique Sud (CPS) et de l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC) ont dans un premier temps évalué les concentrations pour trois espèces de thons du Pacifique occidental et central : le thon jaune (Albacore), le thon blanc (Germon) et le thon obèse (Bachi). Des échantillons ont ainsi été prélevés dans les muscles de 1000 spécimens (364 thons obèses, 417 thons jaunes et 163 thons blancs), et analysés. Les chercheurs ont ensuite mis au point des modèles permettant de cartographier la variance régionale du méthylmercure pour ces 1000 thons, selon leur lieu de pêche.

Les modèles révèlent que les concentrations dépendent non seulement de l’espèce considérée et de sa taille, mais également de sa localisation géographique (cf. fig.1). Elles sont plus élevées dans le cas du thon obèse par ex. et dans la région sud-ouest du Pacifique autour de la Nouvelle-Calédonie et des îles Fidji (cf. fig. 1 : en rouge).

Figure 1 : Distribution géographique des teneurs en mercure – Pacifique occidental et central – thons d’une taille standard de 1 m (source : CPS n°158)

Pour expliquer ces résultats, les chercheurs se sont intéressés à l’influence de différents facteurs : physiologiques, environnementaux et écologiques.

Importance de la taille

Sans surprise, au sein d’une même espèce, les plus fortes concentrations en méthylmercure sont retrouvées chez les plus grands spécimens. En effet, par le processus de bioaccumulation, ce composé est moins vite éliminé qu’il n’est absorbé et s’accumule au fur et à mesure que le poisson grandit et vieillit. Toutefois, les seuils de méthylmercure préconisés par l’OMS (1 mg de mercure pour 1kg de poisson) sont rarement dépassés. Seules 1% des prises de thons jaunes et de thons blancs, et 11% des thons obèses, principalement les plus gros individus, affichent des concentrations supérieures aux maximums autorisés.

Importance de la profondeur

La concentration de ce composé s’accroît avec la profondeur (cf. fig. 2) : si le mercure se dépose en surface des océans c’est en profondeur qu’il est, pour l’essentiel, transformé en méthylmercure par les bactéries. Des caractéristiques propres aux différentes espèces et à leur distribution géographique permettent d’expliquer pourquoi certaines d’entre elles séjournent en eaux plus profondes et présentent de ce fait des teneurs en méthylmercure comparativement plus élevées.

                                       Actu

Figure 2 : Représentation de l’habitat vertical des thons avec la courbe de teneur en méthylmercure de l’eau en fonction de la profondeur (source : CPS)

Importance de l’espèce 

En standardisant la taille des thons, les chercheurs ont observé des différences de teneurs en méthylmercure entre les trois espèces ; le thon obèse présente des taux supérieurs aux deux autres (cf. fig. 1). Cette différence s’explique par des caractéristiques de longévité, d’alimentation et de capacités physiologiques. En effet, le Bachi vit plus longtemps, favorisant ainsi l’accumulation de méthylmercure dans ses tissus ; par ailleurs il possède les capacités physiques pour plonger plus profondément que les thons jaunes ou blancs, là où la production de méthylmercure est plus importante. Les Germons et Albacore, qui évoluent davantage en surface, sont de ce fait moins exposés et présentent des teneurs en méthylmercure plus faibles (cf. fig. 2).

Importance de la zone de pêche

En plus des distinctions interspécifiques et de l’incidence de la taille du poisson, les chercheurs ont également montré qu’au sein d’une même espèce, des différences régionales existent. Pour le thon obèse par ex., la concentration en méthylmercure est plus élevée autour de la Nouvelle-Calédonie et des îles Fidji (cf. fig. 1 : en rouge) que vers l’équateur (cf. fig. 1 : en bleu) ; de même la température de l’eau y diminue moins rapidement avec la profondeur (température >12° jusqu’à 430m, pour 275m à proximité de l’équateur), les thons obèses adaptés aux “eaux chaudes” y séjournent ainsi plus en profondeur et rapprochant leurs lieux de chasse et de nourriture des lieux de production du contaminant, ils augmentent leurs taux de méthylmercure.

D’autres facteurs de moindre importance, comme la position du thon dans le réseau trophique, peuvent aussi expliquer ces variations de concentration. En effet plus l’espèce se situe à une place élevée en tant que prédateur, plus elle ingère et absorbe du méthylmercure via son alimentation (autres espèces) et possède au final une charge corporelle en contaminant supérieure, à celle des poissons consommés.

En éclairant les processus qui exposent les thons à des teneurs en mercure plus élevées, en fonction de leurs taille, espèce, et lieu de pêche, cette étude permet d’évaluer avantages et inconvénients liés à la consommation de ces espèces par l’homme et ainsi de participer à en diminuer le risque sanitaire.

 

Médiation scientifique

Assurée par Fanny Châles, doctorante de l’Ecole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML), en 1ère année de thèse au Laboratoire Aménagement des Usages, des Ressources et des Espaces marins et littoraux (AMURE) à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM/UBO).

L’article

Houssard, P., Point, D., Tremblay-Boyer, L., Allain, V., Pethybridge, H., Masbou, J, Ferriss B. E., Baya, A. P., Lagane, C., Menkes, C. E., Letourneur, Y., Lorrain, A. (2019). A model of mercury distribution in tuna from the western and central Pacific ocean: influence of physiology, ecology and environmental factors. Environmental science & technology, 53(3), 1422-1431. doi : 10.1021/acs.est.8b06058

Les auteurs

L’étude présentée a été menée dans le cadre de la thèse de P. Houssard (IRD et Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin -LEMAR, IUEM/UBO). L’article résulte de la collaboration de chercheurs de l’IRD, du LEMAR (UBO), de l’université de Nouvelle-Calédonie, du laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET), de l’université Pierre et Marie Curie, du CSIRO (Australie), de la NOAA (USA) et de la CPS (Nouvelle-Calédonie).

La revue

« The ICES Journal of Marine Science » publie des articles originaux, des essais d’opinions, des projets pour l’avenir  et des revues critiques qui contribuent à notre compréhension scientifique des systèmes marins.

Contacts

Auteurs :  anne.lorrain@ird.fr / david.point@ird.fr

Bibliothèque La Pérouse : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier

Service Communication et médiation scientifique : communication.iuem@univ-brest.fr

 

 

Le manque d’accès aux données marines : un barrage à une gestion plus saine des océans

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À l’ère du numérique, alors que les bases de données océaniques sont continuellement enrichies, les écosystèmes marins s’appauvrissent et se dégradent de manière alarmante. Dans le contexte des changements globaux, ce type de données devrait nous permettre une meilleure gestion de notre consommation des ressources océaniques, afin de les préserver. Pourtant, nombre de ces informations sont difficilement accessibles et/ou peu partagées ; cet état de fait gêne la bonne compréhension des différentes modifications physiques, écologiques et sociales en cause dans ces changements écosystémiques évolutifs et rapides. Ceux-ci impliquent de constantes réévaluations et mises à jour des données océaniques. On observe cependant un progrès significatif dans la communication et la transparence de ces données. D’intéressantes alternatives pourraient venir l’enrichir.

À ce jour, d’innombrables observations satellites de la Terre sont répertoriées par les dispositifs de télédétection (ex. programmes Landsat et Sentinel), des milliers de scientifiques collectent des milliers de données sur le terrain ; un grand nombre de plateformes en résulte, offrant un accès et un partage à ces ressources en ligne.

Trop souvent, un manque évident de structuration et/ou de standardisation nuit au partage en ligne des données ; celles-ci peuvent, par exemple, être collectées par des étudiants ou des chercheurs non-académiques. Malgré des incertitudes de mesures souvent inconnues voire douteuses, de nombreuses informations importantes sont contenues au sein de ces données “désordonnées”. Comment les combiner au mieux avec celles des chercheurs académiques, et ainsi en valoriser l’ensemble ? Les bases de données actuelles pourraient s’enrichir d’une quantité conséquente de ressources ignorées ou non partagées (cf. fig. 1).

Fig. 1 : Situation actuelle (à gauche) et souhaitée (à droite) dans le contexte de la disponibilité et du partage des données océaniques. Les débits d’eau représentent la quantité de données relative à chaque source.

Trois obstacles très concrets, expliquant les difficultés d’accès aux données océaniques, peuvent ainsi être identifiés : leur mise en ligne, leur accessibilité et la navigation sur les plateformes dédiées. Le téléchargement des ressources vers le Cloud (stockage à distance) correspond à leur transfert dans une grande base de données numériques où elles peuvent être partagées. Se posent alors des contraintes (cf. fig. 2) de recherche et localisation des bases de données thématiquement proches et regroupant des informations de même nature que celles à déposer, de leurs sources d’origine et du respect des exigences de formatage.

Dans certains cas, les données océaniques ne sont pas numériques et par conséquent, pas répertoriées (informations relevées dans des carnets de bord par ex.). De même un propriétaire n’a pas forcément conscience de l’utilité de ses données pour la communauté ; c’est typiquement le cas des publications de photos sur les réseaux sociaux : les Smartphones peuvent en effet être considérés comme des outils d’enregistrement des changements d’état des mangroves ou des herbiers marins en Indonésie par ex.

Fig. 2: Paramètres de la production et du partage des données. (1) mesures sur le terrain, (2) instruments de traitements de données détenus par les producteurs uniquement, (3) ensemble de données dispersées, (4) données locales non partagées en dehors d’une institution, (5) données potentiellement intéressantes pour des utilisateurs extérieurs à l’institution, (6) barrage aux partages des données, (7) articles produits à partir de données stagnantes, (8) utilisation impossible de données aux formats inadaptés, (9) non-renseignement de la source de données mises en ligne, (10) montagnes de disciplines différentes auxquelles pourraient s’appliquer un même type de données.

Une fois téléchargées sur le Cloud, se pose le problème de l’accès à ces données. Celles-ci sont souvent classées par disciplines, régions océaniques et sous différents formats. Les liens entre ces ressources sont donc fragiles et facilement rompus. De plus, les utilisateurs ne sont pas toujours informés des mises à jour du fait de l’impossibilité de communiquer avec les producteurs de données. Enfin, la navigation se complique à mesure que le volume et la diversité des ressources augmentent. Les données océaniques, réparties sur différentes plateformes, sont peu évidentes à évaluer (qualité/précision de mesure) et à dater (données anciennes/récentes). Néanmoins et même si l’outil de recherche Google propose un accès assez simple à des données récentes, un système de navigation qui offrirait une combinaison optimale de toutes ces données, allègerait le coût de la Recherche en sciences marines sur le long terme et à large échelle géographique.

La plupart des solutions à ces problèmes existent déjà mais sont exploitées partiellement ou appliquées à d’autres domaines que l’Océanographie. S’en inspirer permet d’envisager une combinaison de différentes approches pour accéder à un maximum de ressources. Le procédé “d’optimisation combinatoire” consiste, dans ce cadre, à coupler les technologies de navigation à l’utilisation de réseaux sociaux (cf. fig. 3)

Fig. 3 : Combinaison de diverses solutions (représentée par le moulin), cette combinaison fournirait une plateforme de découverte et d’accès aux données, ainsi que de nombreux outils et applications.

Pour exemples : l’utilisation d’un « grand livre » (registre) facilite la lecture de paramètres mesurés et classés, issu du domaine comptable, il concourt à la traçabilité des sources et à la transparence des données. Le registre le plus simple est le DOI (identificateur d’objet numérique), déjà appliqué à de nombreuses ressources en sciences. Les DOI certifient la provenance et sont associés aux données source. Par ailleurs, l’utilisation d’un blockchain (chaîne de blocs) permet la traçabilité et assure la sécurité du partage des données, jusqu’alors son principal domaine d’application est celui de la cryptomonnaie. Il permet un enregistrement ponctuel des modifications des données ainsi qu’une gestion de données combinées dans un cadre interdisciplinaire. Enfin, l’utilisation d’un extracteur et transcripteur automatique tire parti de l’intelligence artificielle, pour un traitement rapide d’une grande quantité d’informations, il réduit aussi les coûts et efforts associés au téléchargement et à la navigation (ex. : NPL / Natural Language Processing).

De nouveaux appels au partage volontaire de données pourraient enfin venir compléter l’utilisation des outils mentionnés précédemment. Des revues scientifiques reconnues soutiendraient la collecte d’une grande quantité de données pour leur valorisation. Un index de citation existe déjà pour les articles scientifiques et l’ensemble des données répertoriées, via le service d’information universitaire du Web of Science (WOS). La présence systématique d’un index pourrait désigner la source des données océaniques ayant donné lieu à une publication dans les revues scientifiques, en vue d’un regroupement de ces données.

Certaines communautés numériques utilisent également des monnaies non officielles dans diverses régions, pour favoriser les dépenses locales. Une monnaie communautaire numérique (DCC /Digital Community Currency) pourrait donc être créée afin de soutenir les fournisseurs de données océaniques en fonction de la quantité, la qualité et la transparence des ressources partagées. Cette monnaie serait en outre échangée contre d’autres ressources en ligne. Un tel procédé augmenterait la visibilité de jeux de données conséquents et soutiendrait le financement de campagnes scientifiques. Les agences gouvernementales pourraient aussi en bénéficier pour faire face aux catastrophes naturelles et des réseaux sociaux spécialisés dans les échanges entre chercheurs profiteraient également de ces partages. Une combinaison de ce type de réseaux avec les plateformes de données en ligne (ODCM/Ocean Data Combinatorial Machine) permettrait notamment une gestion des mises à jour en plus de nouvelles collaborations entre chercheurs.

Des enseignes internationales comme Amazon ont déjà résolu, à des fins commerciales, des problèmes similaires concernant la gestion et la compilation des données. Cette entreprise utilise des agencements spécifiques pour stocker ses articles dans d’énormes entrepôts, leur accessibilité est optimisée en permanence. La transparence est également assurée sur l’origine, la composition, la fabrication de nombreux produits et des interactions directes sont prévues avec les clients. Ce type d’exemple rend envisageable, le regroupement des données marines, leur accessibilité ainsi que des échanges entre producteurs et utilisateurs. Une transposition durable au domaine océanique permettrait la création de bases de données universelles pour une gestion plus saine des Océans. Coordonner des actions efficaces pour atténuer le déclin des écosystèmes marins passe par une meilleure gestion de nos données océaniques, collaboration et partage maximal restent donc essentiels.

Médiation scientifique

Assurée par Pierre Fourrier, doctorant de l’École Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 1ère année de thèse en Chimie Organique Marine au Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (LEMAR), à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM).

L’article

Pendleton, L. H., Beyer, H., Grose, S. O., Hoegh-Guldberg, O., Karcher, D. B., Kennedy, E., Llewellyn, L., Nys C., Shapiro, A., Jain, R., Kuc, K., Leatherland, T., O’Hainnin, K., Olmedo, G., Seow, L., Tarsel, M. (2019). Disrupting data sharing for a healthier ocean. ICES Journal of Marine Science, 76(6), 1415-1423. https://doi.org/10.1093/icesjms/fsz068

Les auteurs

Cet article est issu d’une collaboration internationale entre des chercheurs du World Wildlife Fund (WWF) (Washington, USA) ; du Nicholas Institute for Environmental Policy (Duke University, USA) ; du Global Change Institute (University of Queensland, Australie) ; de l’Ifremer (IUEM, UBO, Plouzané) de l’unité de recherche AMURE ; de la Conservation Science Unit (WWF, Indonésie) ; de l’Australian Institute of Marine Science (Townsville, Australie) ; et de l’IBM Corporation, Corporate Citizen & Corporate Affairs (New-York, USA).

La revue

« The ICES Journal of Marine Science » publie des articles originaux, des essais d’opinions (« Food for Thought »), des projets pour l’avenir (« Quo Vadimus ») et des revues critiques qui contribuent à notre compréhension scientifique des systèmes marins.

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Mesurer les courants depuis l’espace, un défi houleux

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Grâce à un nouveau projet de satellite, les océanographes espèrent obtenir pour la première fois une mesure directe des courants marins de surface depuis l’espace. Cette prouesse technique passe par une connaissance précise de la géométrie des vagues.

Obtenir une mesure des courants marins de surface est l’un des défis essentiels de l’Océanographie. Au-delà des applications civiles et industrielles (pour la navigation, la construction off-shore …etc.), la connaissance de ces courants est au cœur de nombreux enjeux scientifiques car les différents échanges Atmosphère – Océan (de chaleur, de carbone, etc…) s’opèrent en surface et dépendent de ces courants.

Figure 1 : Exemple de courants de surface obtenus à partir d’un modèle numérique. Les  panneaux de droite “zooment” vers les 2 régions encadrées en violet (à gauche)

Or les modèles numériques théoriques montrent qu’il existe une multitude de courants, organisés sous forme de structures de tailles variables (cf. fig. 1 : courants issus d’un modèle théorique où coexistent des courants visibles à l’échelle du globe (en turquoise clair, image de gauche) et des courants d’une échelle plus petite (en rouge, image de droite).

Mais l’origine et l’évolution de ces courants restent mal comprises car les mesures directes, qui pourraient permettre une comparaison avec les calculs théoriques, ne sont pas suffisantes. Elles sont en effet effectuées soit par des radars au sol à portée limitée, soit par des bouées ou des instruments océanographiques qui dérivent en surface et réalisent des mesures ponctuelles ne permettant pas d’obtenir une représentation globale à l’échelle océanique. Les mesures satellitaires pourraient, quant à elles, fournir une telle représentation des courants, mais les satellites actuels (des altimètres) ne les mesurent pas directement, ils se contentent de les évaluer via les variations de hauteur de la surface de l’océan.

Pour estimer les courants de surface à partir de ces données altimétriques, il est nécessaire que la taille et la vitesse des courants satisfassent certaines hypothèses. Malheureusement celles-ci ne sont pas entièrement vérifiées lorsqu’il s’agit de courants de petite échelle et/ou de forte intensité pour lesquels l’erreur d’estimation demeure très importante quand leur évaluation est réalisée à partir des mesures de hauteur de surface de l’océan. Par ailleurs, à proximité de l’équateur, l’estimation des courants s’avère de mauvaise qualité et rend de ce fait les mesures par altimètres très difficiles à pratiquer, dans cette zone géographique. Ces satellites apparaissent donc plus aptes à apprécier les courants de grande échelle et d’intensité faible, à distance de l’équateur.

Récemment, un nouveau concept permettant une mesure directe des courants (sans estimation) a été proposé : le SKIM (Sea surface KInematics Multiscale monitoring concept). Il s’agit d’une mesure de l’effet Doppler produit par la surface de l’océan, effectuée depuis l’espace.

 

Figure 2: Schéma explicatif de l’effet Doppler

Qu’est-ce que l’effet Doppler?

Quand deux balles sont lancées horizontalement à la même vitesse, contre un mur et que la deuxième balle est lancée quelques secondes après la première (fig. 2a), la distance entre les balles reste constante, même après un rebond contre le mur (cf. fig. 2a : flèches rouges). Si le mur avance vers le lanceur (cf. fig. 2b), une fois que la première balle a rebondi, le mur continue d’avancer vers la deuxième balle, ainsi elle rebondit plus tôt que si le mur était resté fixe et donc elle change de direction plus rapidement que prévu. Par conséquent, si l’on mesure la distance séparant les deux balles après le rebond, celle-ci est plus courte qu’avant le rebond (cf. fig. 2b : flèche verte).

Cette diminution de la distance entre les deux balles, due au déplacement de l’obstacle, est le fondement de l’effet Doppler observé pour des ondes électromagnétiques. Une onde électromagnétique peut être considérée comme une succession de crêtes et de creux dans le champ électromagnétique (cf. fig. 2c). Les deux balles représentent deux crêtes successives de l’onde. A l’émission de l’onde, les crêtes sont séparées par une certaine distance (la longueur d’onde, cf. fig. 2c  : flèche rouge). Mais après réflexion contre un mur qui se déplace, la distance entre ces deux crêtes change, la longueur d’onde a donc changé (cf. fig. 2c : flèche verte). En mesurant ce changement (l’effet Doppler), on peut estimer la vitesse de déplacement du mur.

Figure 3  : Principe de mesure des courants par satellite grâce au concept SKIM 

Le principe de SKIM est de réaliser une mesure de la vitesse de la surface de l’océan par effet Doppler. Pour cela, le futur satellite devra émettre une onde électromagnétique à un certain angle par rapport à la verticale. Si (cf. fig. 3a) la surface de l’océan est globalement plate, avec un élément flottant (petit rectangle noir : le réflecteur), l’onde va être réfléchie sur cet élément et être en partie réémise en direction du satellite, de la même manière que si un mur (cf. fig.3a : en rouge) était présent. S’il existe un courant en surface (cf. fig.3a : flèches bleues), celui ci va faire bouger le réflecteur et le «mur» va se déplacer. Il se produit alors un effet Doppler qui permet d’estimer la vitesse de déplacement du réflecteur et par conséquent du courant qui le déplace.

Quel est le rôle des vagues dans cette mesure des courants ? (cf. fig. 3b)

Si l’océan n’est pas plat mais que des vagues modifient significativement la géométrie de sa surface, celles-ci génèrent un courant faible dans le sens de leur propagation (appelé la dérive de Stokes) qui déplace le réflecteur. Le courant mesuré par effet Doppler correspondra donc à la somme du courant marin de surface (que l’on cherche à mesurer – cf. fig. 3b : flèches bleues) et de cette dérive de Stokes due aux vagues (cf. fig. 3b : flèches vertes). Pour évaluer le courant de surface, une connaissance précise de la dérive de Stokes et des vagues sont donc nécessaires. Cette estimation des vagues constitue ainsi la deuxième action à effectuer nécessairement par le futur satellite, via d’autres propriétés liées à l’onde électromagnétique émise.
Ce nouveau concept SKIM pourrait donc permettre de mesurer par effet Doppler, les courants marins de surface depuis l’espace, avec une haute résolution spatiale (de l’ordre de 30 km) et temporelle (de l’ordre d’1 mesure tous les 3 jours) pour l’ensemble du globe et plus spécifiquement à proximité de l’équateur. La mesure simultanée des vagues, serait nécessaire afin d’estimer le courant qu’elles induisent et ainsi de pouvoir le soustraire au signal mesuré.

Malgré un concept relativement simple, la mise en œuvre de SKIM reste un formidable défi scientifique du fait de la multiplicité et de la complexité des sources d’erreurs potentielles. En effet, si le satellite se déplace à 7 kilomètres/seconde, les courants ont quant à eux des vitesses inférieures à un mètre/seconde, il est donc essentiel que l’emplacement et la vitesse du satellite soient connus avec une grande précision pour que la mesure du courant puisse s’avérer tout à fait fiable.

Médiation scientifique

Assurée par Alex Ayet, lÉcole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université Bretagne – Loire), en 3ème année de thèse dans l’équipe SIAM au sein du laboratoire d’océanographie physique et spatiale (LOPS) à l’Ifremer.

L’article

 Measuring currents, ice drift, and waves from space: the Sea surface KInematics Multiscale monitoring (SKIM) concept    https://doi.org/10.5194/os-14-337-2018

Les auteurs

Ce travail résulte d’une collaboration internationale entre Fabrice Ardhuin, Bertrand Chapron, Jean-Marc Delouis, Alexis Mouche, Frédéric Nouguier et Justin Stopa (Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale (LOPS), Univ. Brest, CNRS, Ifremer, IRD, Brest, France), Yevgueny Aksenov et George Nurser (National Oceanographic Center, Southampton, Angleterre),  Alvise Benetazzo (Institute of Marine Sciences, National Research Council (ISMAR-CNR), Venice, Italie), Laurent Bertino, Johnny Johannessen, Anton Korosov, Pierre Rampal et Jiping Xie (Nansen Environmental and Remote Sensing Center, Bergen, Norvège), Eric Caubet (Thales Alenia Space, Toulouse, France), Fabrice Collard et Lucile Gaultier (OceanDataLab, Locmaria Plouzané, France), Sophie Cravatte (LEGOS, Université de Toulouse, CNES, CNRS, IRD, Toulouse, France), Frederic Dias (University College, Dublin, Irlande), Gérald Dibarboure et Céline Tison (CNES, Toulouse, France), Georgy Manucharyan (Division of Geological and Planetary Sciences, California Institute of Technology, Pasadena, Etats-Unis), Dimitris Menemenlis et Ernesto Rodriguez (Earth Sciences Division, Jet Propulsion Laboratory, California Institute of Technology, Pasadena, Etats-Unis), Melisa Menendez (Environmental Hydraulics Institute “IH Cantabria” Universidad de Cantabria, Santander, Espagne), Goulven Monnier (Scalian Alyotech, Rennes, France), Ad Reniers et Clément Ubelmann (Collecte Localisation Satellite (CLS),  Ramonville St-Agne, France) et Erik van Sebille (Institute for Marine and Atmospheric Research, Utrecht University, Utrecht, Pays-Bas).

La revue

“Ocean sciences” est une revue en Open-Access publiée par l’European Geophysical Union. Elle traite de tous les aspects de l’océanographie physique, qu’il s’agisse d’études expérimentales, théoriques ou en laboratoire.

Contacts

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Bibliothèque La Pérouse : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier

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Plastiques à la dérive : itinéraire d’une particule

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Tous les ans, 8 à 10 millions de tonnes de déchets plastiques sont déversés dans les océans. De faible densité, ces détritus dérivent au gré des courants et s’accumulent partiellement à la surface des eaux. Des simulations numériques permettent de mieux comprendre leur cheminement au sein des bassins océaniques et d’appréhender ce problème majeur de pollution. Environ 150 millions de tonnes de débris plastiques [1] convergent vers cinq zones principales d’accumulation au nord et au sud de chaque grand bassin océanique (cf. fig. 1) ; la zone d’accumulation du Pacifique Nord représenterait six fois la taille de la France. Ces déchets, essentiellement des micro plastiques de moins de 5 mm, constituent une véritable menace tant pour la santé des écosystèmes marins que pour celle des hommes [1, 2] .

Figure 1 (extraite de Cozar et al., 2014) : Concentrations des débris plastiques à la surface des océans, mesurées au cours de différentes expéditions scientifiques. Les zones grises délimitent les zones d’accumulation prédites par simulation (Maximenko et al., 2012).

Pour réussir à contrôler cette pollution, il est nécessaire de comprendre l’itinéraire et le devenir des déchets. Dans cette optique, les scientifiques entreprennent de déterminer leur trajectoire en utilisant notamment, la cartographie des courants marins qui résultent majoritairement de deux phénomènes distincts :

  • les vents et la force de Coriolis influent sur les courants de surface (également appelés “courants d’Ekman”) dont la puissance et la direction varient rapidement.
  • la circulation thermohaline engendre des courants profonds ; la différence de température (thermo) et de salinité (haline) entre certaines masses d’eau génère des variations de densité : une masse d’eau froide salée sera en effet plus dense qu’une masse d’eau plus chaude, moins salée et plongera davantage en profondeur [4].

Actuellement, la circulation océanique est principalement analysée via le suivi de mesures in situ (bouées, satellites, etc.) et par modélisation numérique. Les outils de simulation présentés dans cet article, ont permis d’étudier la trajectoire de particules numériques à la surface des océans durant une trentaine d’années (1985 – 2013), durée qui paraît suffisante pour décrire les caractéristiques des zones de convergence des débris en surface. Ainsi, une répartition initiale, homogène et constante de l’ordre d’un million de particules numériques a été considérée, chaque particule a été positionnée au centre d’une maille composant la grille du modèle et recouvrant toute la surface océanique du globe. La trajectoire de chaque particule a ensuite été calculée, jour après jour en prenant en compte les courants océaniques à 0,5 m de profondeur (via un modèle de référence intitulé C-GLORSv5, extérieur à l’étude) et les variations énergétiques induites par la présence de tourbillons de méso-échelle (équivalent océanique des dépressions dans l’atmosphère). Dans cette modélisation les particules ne coulent pas vers les profondeurs, reproduisant ainsi la flottabilité des plastiques liée à leur faible densité.

Figure 2 : Concentration en particules à la surface du globe après 1, 3 et 26 ans de simulation. Les rectangles bleus montrent les zones d’accumulation et les points bleus correspondent au centre de masse des particules présentes dans les zones définies par les rectangles. 

Ces résultats (cf. fig. 2) mettent en évidence l’éloignement très rapide des particules de l’équateur (celui-ci se comporte comme une zone de divergence) : au bout de trois ans, 75 % des particules sont situées hors de la région tropicale comprise entre 15°N et 15°S. Elles commencent ainsi à s’accumuler très rapidement à l’intérieur des grands bassins océaniques, principalement sous l’action des courants liés aux vents. Après une simulation de dérive des particules sur 10 années, celles-ci apparaissent principalement réparties dans cinq zones de convergences, très stables dont la localisation ainsi que la concentration en particules n’évoluent plus que peu, même au bout des 29 années de simulation. La grande majorité des particules se répartissent dans l’une de ces zones d’accumulation mais certaines cependant, restent en Atlantique nord subpolaire ou empruntent une voie de liaison de plus de 8000 km qui connecte le sud de l’Océan Indien au sud de l’Océan Pacifique via la Grande Baie australienne et la mer de Tasman ; la concentration en particules y apparaît permanente et stable dès 15 ans de simulation.

Ces résultats tendent donc à montrer que les zones subtropicales de convergence peuvent communiquer et ne doivent donc pas être considérées comme fermées et isolées. Par ailleurs il semblerait que, contrairement aux zones d’accumulation, cette voie de liaison n’est pas uniquement créée par les courants de surface générés par le vent (courants d’Ekman), mais également par une variabilité énergétique induite par la présence des tourbillons de méso-échelle. Cette variabilité n’est pas toujours prise en compte dans les modèles actuels de dispersion de débris flottants alors qu’elle pourrait y jouer un rôle important.

Les simulations numériques sont d’une grande aide pour étudier la dispersion des particules flottantes à une échelle globale. Elles permettent notamment d’éviter certains biais causés par l’utilisation de flotteurs dérivants, biais liés en particulier au nombre (nécessairement) limité de bouées et au fait que leur trajectoire dépend fortement de leur point de départ. Cette méthode comporte aussi ses limites, notamment vis-à-vis de nos connaissances sur les puits et sources de plastiques dans l’Océan. Par exemple, quelle est la part de débris qui s’échouent sur les plages ou qui coulent en profondeur ?

Ainsi, la variabilité énergétique induite par la présence de tourbillons devrait être prise systématiquement en compte dans les futures simulations de dérive des plastiques, puisqu’elle permet de montrer et d’expliquer la présence d’une voie de liaison entre les zones d’accumulations au sud de l’Océan Pacifique et de l’Océan Indien. A l’heure actuelle, les auteurs continuent d’améliorer leur compréhension de ces circulations de surface et essaient maintenant de prendre en considération les courants induits par les vagues (dérive de Stokes) qui permettront d’affiner encore ce modèle.

Médiation scientifique:

Assurée par Marion Urvoy, doctorante de l’Ecole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 1ère année de thèse au Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (LEMAR) à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM) et au laboratoire Pelagos, unité Dynamique des Ecosystèmes côtiers (DYNECO) à l‘Ifremer

L’article

Maes, C., Grima, N., Blanke, B., Martinez, E., Paviet-Salomon, T., & Huck, T. (2018). A surface “superconvergence” pathway connecting the South Indian Ocean to the subtropical South Pacific gyre. Geophysical Research Letters, 45, 1915–1922.

https://doi.org/10.1002/2017GL076366

Les auteurs

Tous les auteurs sont affiliés au Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale (LOPS), situé à Plouzané. E. Martinez est également affilié à l’UMR 241 – Ecosystèmes Insulaires Océaniens (Tahiti). T. Paviet-Salomon, de l’ENSTA Bretagne, a réalisé une partie de son stage de fin d’étude de master 2 sur cette thématique.

La revue

La revue internationale « Geophysical Research Letters » est publiée par l’Union Américaine de Géophysique (AGU) depuis 1974. Son objectif est de permettre la publication de rapports concis, à  fort impact et nécessitant une grande visibilité sur tous les domaines liés aux géosciences.

Bibliographie

[1] Fondation Ellen MacArthur (2016), « Pour une nouvelle économie des plastiques »

[2] Audrey Garric (9 mai 2012), « Le 7ème continent de plastique : ces tourbillons de déchets dans les océans ».

[3] Cozar et al. (2014), « Plastic debris in the open ocean ». PNAS 111(28):10239-44

[4] Muséum d’Histoire Naturelles, « Pourquoi étudier les courants océaniques ? ».

[5] Maximenko et al. (2012), « Pathways of marine debris derived from trajectories of Lagrangian drifters. » Mar Pollut Bull 65(1–3):51–62.

Contacts

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Bibliothèque La Pérouse : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier

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Mesurer la glace ? pas de quoi en faire des vagues

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La fonte inéluctable des glaces de mer rend nécessaire d’en estimer l’épaisseur. C’est possible, il suffit pour cela de mesurer les vagues…

La couverture de glace au niveau des pôles a beaucoup diminué depuis 1979, année des premières observations satellitaires, le réchauffement direct de notre atmosphère et les différents phénomènes physiques associés (modification des courants, intensification des événements climatiques extrêmes…) en sont les principaux responsables. Ainsi dans les régions polaires, les interactions entre les vagues et la glace sont de plus en plus importantes. En Arctique, l’étendue des glaces ayant considérablement diminué, la surface d’océan en eau libre a augmenté permettant aux vagues de se déployer. En Antarctique, les vagues ont un effet stabilisateur, elles viennent compresser la glace et lui opposent ainsi  une résistance à l’éloignement vers l’équateur et des eaux plus chaudes où elle fondrait.

Quand les vagues arrivent à hauteur d’un objet flottant, il les réfléchit et/ou les amortit, tout comme la quantité de mouvement qu’elles transportent. Cela produit une force horizontale sur l’objet (ici la glace de mer) qui peut amener son déplacement ou sa déformation. La compression entraîne l’épaississement des couches de glace flottantes sous forme d’empilements verticaux des morceaux de glace présents dans la zone de transition entre l’océan et la banquise (cf. fig. 1), c’est la Zone Marginale de Glace (ZMG). Les morceaux de glace, formant initialement une seule couche morcelée à la surface de la mer, peuvent se retrouver compressés jusqu’à se soulever pour s’empiler sur d’autres.  C’est le mouvement incessant des vagues qui favorise ce soulèvement en modifiant constamment les espacements et hauteurs des glaces flottantes. A partir d’un certain point, la force exercée par les vagues devient insuffisante pour compresser d’avantage la glace qui arrête alors d’épaissir.

L’étude présentée ici s’appuie sur la capacité de calculer la variation du mouvement de la glace à la surface de l’océan lorsqu’elle est soumise aux contraintes qui s’opposent à sa déformation : les contraintes externes sur la glace (les vagues, le vent, les courants) et la contrainte interne à la glace. Prenons l’exemple d’une boule de neige : la contrainte externe lui est imposée par nos mains qui tassent la neige tandis que la résistance de la neige au tassement, constitue la contrainte interne. L’opposition de ces deux contraintes, permet d’obtenir une boule de neige compacte, de taille constante pour une quantité de neige donnée.

Fig. 1 : Agrégation et compactage des morceaux de glace par les vagues (provenant de la gauche) vers la banquise (à droite)

Lorsque la glace ne bouge plus, on dit que le système glace-océan-atmosphère est à l’équilibre. Les contraintes externes et internes s’égalisent (la boule de neige est constituée et ne se tasse plus). Connaître la valeur de l’une des deux contraintes, c’est connaître la valeur de l’autre, on peut donc estimer les contraintes internes par des mesures extérieures (via un satellite par ex.), or comme on sait relier mathématiquement les contraintes internes à l’épaisseur de la glace, on peut alors déterminer celle-ci à partir de mesures océanographiques !

Des expériences ont ainsi été réalisées dans le parc national du Bic, véritable laboratoire naturel au long de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent (Canada). Durant l’hiver et malgré une couverture de glace presque totale, une partie du fleuve reste cependant libre de glace  par l’apport en eaux plus chaudes, provenant de l’océan Atlantique. Lors d’épisodes venteux, des vagues s’y forment (ce serait impossible si toute la surface du fleuve était gelée) permettant ainsi l’étude d’une ZMG. Des mesures comparatives de courant, de vent et d’épaisseur de glace ont donc pu y être effectuées. Des bouées équipées de capteurs de mouvements et placées en différents points toujours plus éloignés du bord, ont permis d’effectuer des mesures de vagues (cf. fig. 2a) ; ce positionnement permet d’évaluer l’atténuation progressive des vagues par la glace. On observe ainsi (cf. fig. 2b) que l’énergie des vagues, mesurée pour chaque bouée, diminue à mesure qu’on s’éloigne de la zone d’eau à l’air libre, en suivant une loi de décroissance exponentielle.

En pratique, cette atténuation peut être ici associée à trois phénomènes : la réflexion des vagues sur la glace et vers le large, la dissipation de l’énergie des vagues par la turbulence (remous occasionnés par la rencontre entre les vagues et la glace) ou encore la friction entre morceaux de glace. Le premier phénomène reste négligeable car les morceaux de glaces sont de petites tailles vis-à-vis de la longueur des vagues (ce n’est pas toujours le cas). Le second n’a pas pu être mesuré durant les missions de terrain (mais compte tenu d’autres observations, il peut ne pas être négligeable). Ainsi, si l’atténuation examinée ici tient compte uniquement de la friction des glaces (troisième phénomène), il faut souligner que le résultat final est probablement sous-évalué, car l’effet de turbulence n’a pas été pris en considération.

Fig. 2a : Zone d’étude avec le parcours réalisé par les bouées lors d’une des séries de mesures. L’échelle de couleur indique le temps associé à la position de chaque bouée.

Fig. 2b : Atténuation de l’énergie E des vagues en fonction de la distance Xice au bord de glace. Plus la couleur est foncée, plus la bouée considérée se situe loin du bord.

Les mesures d’épaisseur ont été réalisées via des trous percés dans la glace, on y a introduit un bâton terminé d’un crochet afin de ne pas dépasser la surface inférieure du glaçon. Les mesures de vent et de courant ont montré que leur effet sur la glace reste négligeable comparé à celui des vagues. De ce fait, la mesure de l’atténuation des vagues permet directement d’estimer l’évolution de la contrainte externe des vagues sur la glace et celle de l’épaisseur de glace en fonction de la distance au bord de glace (cf. fig. 3).  Cette épaisseur croît rapidement jusqu’à atteindre une valeur maximale constante, concomitante à la disparition totale des vagues. La modélisation de l’évolution d’épaisseur de la glace correspond bien aux mesures effectuées sur le terrain. La disparité des mesures individuelles est due à la forte variabilité de l’état de surface de la glace.

Fig. 3 : Evolution de l’épaisseur de glace ζ divisée par l’épaisseur de glace à l’équilibre ζeq en fonction de la distance au bord de glace χ. La ligne noire désigne le modèle mathématique, les ronds  les mesures par bouée, les croix les mesures directes de l’épaisseur, les carrés et le losange jaunes les moyennes des croix.

Ces résultats sont encourageants pour la communauté scientifique. En effet contrairement aux mesures des vagues observées toujours plus précisément via les données satellitaires, les estimations d’épaisseur de glace restent très difficiles à réaliser dans des conditions identiques. Grâce à cette découverte, l’estimation par satellite de l’épaisseur des glaces à partir des mesures de vagues devient envisageable (au moins dans des conditions similaires à celles présentées dans cette étude).

Médiation scientifique:

Assurée par Luc Barast, doctorant de lÉcole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université Bretagne – Loire), en 1ère année de thèse dans l’équipe SIAM au sein du Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale (LOPS) à l’Ifremer.

L’article

Marginal ice zone thickness and extent due to wave radiation stress.

https://doi.org/10.1175/JPO-D-17-0167.1

Les auteurs

Ce travail résulte d’une collaboration entre Peter Sutherland, (Ifremer, Univ. Brest, CNRS, IRD, Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale, IUEM, Brest, France) et Dany Dumont (Institut des Sciences de la Mer de Rimouski, Université du Québec à Rimouski, Rimouski, Quebec, Canada) autour du projet BicWin, à propos de l’étude des phénomènes physiques et océanographiques des ZMG à partir du laboratoire naturel que constitue le parc du Bic.

La revue

« Journal of Physical Oceanography » est une revue publiée par l’American Meteorological Society. Elle traite de la physique des océans et des processus ayant lieux à leurs frontières. Les articles qui y sont publiés sont tout aussi bien basés sur de la théorie, des mesures de terrain ou par satellite, ou encore sur des résultats numériques.

Pour en savoir plus
https://www.quebecscience.qc.ca/sciences/les-10-decouvertes-de-2018/mesurer-force-vagues-canot-a-glace/

Contacts

Auteurs : consulter l’annuaire de l’IUEM

Bibliothèque La Pérouse : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier

Service Communication et médiation scientifique : communication.iuem@univ-brest.fr

La pêche : manager pour mieux protéger

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79 millions de tonnes, ce chiffre impressionnant correspond à la quantité d’animaux marins pêchés en 2016 (cf. FAO 2018). Si aujourd’hui, les écosystèmes marins sont très fortement menacés par le changement climatique, la pollution ou l’acidification des eaux c’est cependant la surpêche qui reste la principale cause du déclin des communautés marines (crustacés, mollusques, poissons).
On parle de surpêche quand l’augmentation des activités de pêcheries entraine non seulement la diminution de la taille, de l’âge ou de la capacité de reproduction des espèces, pouvant même aboutir à leur disparition complète. Elle est la conséquence d’une consommation de poissons toujours plus importante, multipliée par 2 en 50 ans, elle est passée de 9.9 kg par personne dans les années 60 à 19.2 kg en 2012. Ces pratiques de pêche doivent être contrôlées afin de limiter la pression qu’elles exercent sur les écosystèmes et la biodiversité marine. Ainsi des réglementations ont été mises en œuvre dans différents pays pour mieux gérer et protéger les ressources marines.

L’Union européenne, l’Islande, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont des pays au niveau de développement comparable qui utilisent des techniques de management pour leurs pêcheries. L’Union européenne est l’une des principales puissances de pêche au monde avec une zone économique exclusive de 25 millions de km², ce secteur d’activité a employé 131 525 personnes entre 2009 et 2011. L’Islande, l’Australie et la Nouvelle-Zélande représentent quant à elles l’équivalent de 11% de la flotte de l’Union européenne et 32 % de son territoire de pêche.

Tableau 1 : La pêche en quelques chiffres (Union Européenne, Islande, Nouvelle Zélande et Australie) : taille de la flotte, emplois, valeurs au débarquement, transferts gouvernementaux (différentes périodes envisagées en fonction des données disponibles).

Bien que les techniques de management différent entre ces pays, elles ont été mises en place pour répondre à un objectif commun : le maintien de l’équilibre entre exploitation et préservation des ressources marines. L’exploitation doit pouvoir satisfaire la demande croissante du secteur alimentaire, être viable économiquement et assurer la stabilité de l’emploi. Cependant, pour pouvoir exploiter ces ressources sur le long terme, il est nécessaire de les préserver en assurant le maintien des stocks et la protection de la biodiversité.

Le stock est la partie exploitable d’une population, pour une zone géographique donnée (les œufs, larves et juvéniles trop petits pour être capturés ne sont pas compris dans ce stock).

Les méthodes de gestion des pêches dans l’Union européenne, en Islande, Nouvelle Zélande ou Australie reposent sur des principes équivalents, seule leur mise en place diffère. Deux types d’acteurs principaux interviennent : d’une part les politiques/décideurs et d’autre part les scientifiques qui émettent des observations et propositions pour une gestion cohérente des stocks et la préservation de la biodiversité.

L’Union européenne applique une politique de gestion unique au monde car elle est la seule à devoir concilier, via la Politique Commune des Pêches (PCP), les préoccupations et intérêts des différents pays qui la composent ; ses décisions impliquent la Commission, le Conseil et le Parlement, elles s’appuient en partie sur l’avis scientifique du Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM). L’Islande, l’Australie et la Nouvelle Zélande en tant qu’états souverains prennent leurs propres décisions pour leurs eaux territoriales. En Islande, la pêche est gérée par le Ministère de la Pêche, en consultation avec l’Institut de la Recherche Marine (IRM), en Nouvelle Zélande c’est le ministre des Industries Primaires qui prend les décisions en collaboration avec des scientifiques consultés à titre individuel ou rattachés à des instituts de recherche (par ex. l’Institut national des sciences de l’eau et de l’atmosphère). Enfin en Australie c’est le Commonwealth et l’état australien, en concertation avec le Conseil Scientifique National, qui assurent la gestion des ressources.

Afin de pouvoir répondre aux objectifs fixés, différents outils ont été mis en œuvre : le Total Autorisé de Captures (TAC) est appliqué en Australie, Nouvelle Zélande et dans l’Union européenne, il correspond à la quantité d’individus prélevables. Les TAC sont fixés pour une grande partie des stocks commerciaux de poissons, par le pouvoir décisionnel en s’appuyant sur l’avis des scientifiques. Ces pays ont également rendu obligatoire la possession d’une licence ou d’un permis de pêche. Cependant ils ont chacun mis en place, via leur stratégie de management, des mesures de protection qui leurs sont propres.

L’Union Européenne a, jusque récemment, limité la capacité de la flotte et le temps passé en mer. Elle a également mis en place des mesures techniques pouvant, par ex., concerner la taille des mailles des filets de pêche (de 70 à 120 mm en Atlantique et de 20 à 40 mm en Méditerranée). L’Islande et la Nouvelle Zélande appliquent quant à elles, un système de Quotas Individuels Transférables (QIT) qui visent à diviser le TAC et à le répartir entre les entreprises de pêche, ces QIT sont transférables entre les pêcheurs s’ils le souhaitent. En Australie ces QIT sont utilisés uniquement pour certaines pêcheries. De même les attitudes vis-à-vis du rejet des prises lors de la pêche, changent selon les pays : interdiction en Nouvelle Zélande et en Islande mais tolérance en Australie. Un système d’obligation de débarquement des prises se met graduellement en place pour les pêcheries de l’Union européenne depuis 2015 afin de stopper le rejet en mer des captures non désirées.

En parallèle de ces actions de gestion, des efforts et une réelle prise de conscience sont encore nécessaires pour assurer la préservation des Océans. Cela doit notamment passer par l’éducation du public dont les comportements de consommation orientent et encouragent les pratiques de pêches.

Médiation scientifique

Assurée par Marjorie Lortholarie, doctorante de l‘École Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université Bretagne – Loire), en 2ème année de thèse dans l’équipe ECEm au sein du laboratoire Mer, Molécules, Santé (MMS) à l’Université de Nantes.

L’article

A comparative review of fisheries management experiences in the European Union and in other countries worldwide: Iceland, Australia, and New Zealand.

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/faf.12147

Les auteurs

Ce travail résulte d’une collaboration entre 20 chercheurs issus d’universités et instituts européens, australien et néo zélandais. Au niveau français, notons les contributions de Paul Marchal (Unité Halieutique de Manche-Mer du Nord – Ifremer)  et de Olivier Guyader, Claire Macher, Pascal Le Floc’h  (UMR AMURE – Ifremer, UBO, CNRS).

La revue

“Fish and Fisheries” revue publiée par l’éditeur Wiley, a adopté une approche éditoriale large et interdisciplinaire des domaines de la pêche et de la biologie des poissons. Les articles qui y sont publiés,s’appuient pour un sujet donné sur la littérature existante et ont en général une portée géographique et/ou taxonomique étendue, pouvant ainsi intéresser un large éventail de lecteurs.

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Océans de plastique

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Du fait d’une production mondiale en constante augmentation, le nombre de produits plastiques polluant les océans s’accroît. Sous l’action des vagues, de la lumière et des conditions météorologiques, ces déchets se fragmentent jusqu’à atteindre moins de 5mm de diamètre, on parle alors de microplastiques qui s’accumulent dans les écosystèmes marins. Le nombre de ces particules dans les océans est estimé à plusieurs milliards et leur présence pourrait avoir des conséquences néfastes pour les espèces animales comme pour l’Homme. En effet, ces microfragments sont si petits qu’ils se confondent avec le phytoplancton constitué d’algues microscopiques, celui-ci forme le premier maillon de la chaîne alimentaire en milieu marin et produit, grâce à la photosynthèse, une grande partie de l’oxygène de notre planète. Les microplastiques peuvent donc atteindre facilement les niveaux trophiques supérieurs et être ingérés par les organismes marins directement ou indirectement via des vecteurs comme le phytoplancton avec lequel ils interagissent en s’agrégeant (hétéro-agrégats). On les retrouve ainsi absorbés par un très large éventail de crustacés, bivalves, mammifères… jusqu’aux poissons qui garnissent nos assiettes.

Les 3 espèces de phytoplancton étudiées, vues au microscope Heterocapsa triquetra, Tisochrysis lutea et Chaetoceros neogracile

L’étude abordée ici, s’est focalisée sur des billes de polystyrène (l’un des 3 polymères de plastique les plus présents dans les océans avec le polyéthylène et le polypropylène) de 2 micromètres de diamètre. Afin de comprendre comment le phytoplancton interagit avec ces fragments, leur potentiel d’agrégation a été étudié via des cultures en laboratoire. Trois espèces de phytoplancton Heterocapsa triquetra (un dinoflagellé), Tisochrysis lutea (un prymnésiophycée), et Chaetoceros neogracile (une diatomée) ont ainsi été exposées aux grains de plastique (à une concentration de 3,96 microgrammes/litre). Leur croissance et leur teneur en pigments ont également été surveillées pour vérifier un éventuel impact physiologique.

Figure 1 : Cytogramme de la culture de C. neogracile (à gauche) et micrographie associée des particules de microplastiques, des cellules de C. neogracile et des hétéro-agrégats (à droite).

La fluorescence rouge est liée à la présence de pigments chlorophylliens dans les algues et la fluorescence verte à celle des microbilles de plastique (UA = unité arbitraire) La méthode de la cytométrie en flux a été utilisée pour observer la répartition du plastique dans les cultures. Cette technique, déjà très employée pour l’étude du phytoplancton, permet de différencier et de dénombrer les particules selon leurs caractéristiques. Ainsi il a été possible de distinguer les cellules de phytoplancton des microparticules de plastique et des hétéro-agrégats (plastiques collés au phytoplancton) (fig. 1). La microscopie 3D a également permis d’approfondir l’étude en discernant les morceaux de plastique présents à la surface de la cellule de ceux phagocytés (ingérés par la cellule). Chez Chaetoceros neogracile, la proportion de billes collées aux microalgues était importante, atteignant 19 % de la teneur totale en microplastique (fig. 2B).

Figure 2 : Répartition des microplastiques exprimée en pourcentage lors des expériences en culture. A: Flacon témoin avec du plastique et sans microalgue, B: Flacon avec du plastique et des cellules de Chaetoceros neogracile. Les lignes vertes représentent la concentration en microalgues (nombre de cellules par millilitre) ; les lignes jaunes et bleues représentent respectivement le pourcentage de microplastiques libres ou adsorbés sur la verrerie et les lignes rouges représentent le pourcentage d’hétéro-agrégats.

 

Bien que la cytomérie en flux n’ait pas permis de mettre en évidence une interaction (hétéro-agrégats) entre les particules et les cellules de Heterocapsa triquetra ou Tisochrysis lutea, l’utilisation de la microscopie 3D a, quant à elle, révélé la présence chez Heterocapsa triquetra de ces hétéro-agrégats et de fragments de plastique phagocytés ou présents dans des débris cellulaires (Fig. 3).
Par ailleurs, la quantité de microplastiques libres dans le milieu de culture a progressivement diminué dans le temps pour les 3 espèces en partie à cause de l’adhésion des particules aux parois en verre des flasques (Fig. 2A). En fin de culture, jusqu’à 97% des microbilles étaient collées aux parois pour Tisochrysis lutea. L’agrégation des grains de plastique entre eux et de bactéries entres elles a également été observée dans tous les milieux de culture. Par ailleurs la production d’exopolysaccharides (sucres collants secrétés à l’extérieur de la cellule) par les bactéries ou certaines espèces de phytoplancton en fonction de leur stade physiologique, pourrait expliquer cette formation d’agrégats. La présence de molécules aux propriétés adhérentes justifierait également la quantité croissante de particules collées à la verrerie au cours des cultures non exemptes de bactéries.

Figure 3 : Micrographies de cellules d’Heterocapsa triquetra en présence de microplastiques. A : phagocytose en cours ; B : présence de microbilles dans des produits de lyses cellulaires ; C : hétéro-agrégats. (en vert : microplastiques, en rouge : pigments chlorophylliens, en bleu : enveloppe d’H. triquetra)

D’un point de vue physiologique, aucun effet n’a été observé sur la croissance ou la fluorescence des 3 espèces de phytoplancton, peut-être du fait d’une concentration testée relativement faible. A contrario de nombreuses études ont déjà démontré des effets physiologiques et toxicologiques des déchets plastiques sur un large éventail d’organismes marins, mettant ainsi en avant le problème de l’évaluation des teneurs en polluants, testées lors des expériences en laboratoire ; en deçà d’un certain seuil, la quantité est trop faible pour en observer l’effet, au-delà elle dépasse, à l’inverse, largement ce que l’organisme peut supporter au point que des effets néfastes vont inévitablement être relevés. Cette observation n’est pour autant, pas forcément significative de ce qui se passe réellement en milieu naturel où il reste difficile de quantifier ces microparticules. Même si elle ne reflète pas la complexité de l’environnement marin, cette étude démontre qu’il existe potentiellement des interactions phytoplancton/microplastique qui semblent dépendre de l’espèce et du cycle physiologique des microalgues.
Ces interférences peuvent alors avoir un impact sur la distribution et la biodisponibilité des microplastiques et expliqueraient que jusqu’à présent, les quantités de plastiques échantillonnées à la surface des océans, restent moins importantes que celles estimées par les modèles prédictifs. On avance en effet l’hypothèse que ces plastiques seraient partiellement entraînés au fond des océans via leur interaction avec le phytoplancton plus lourd. Par ailleurs, des travaux ont déjà démontré que les bivalves consommaient d’avantage de ces déchets via la formation d’agrégats concentrant les particules synthétiques.

On estime alors que plus les fragments de plastique deviennent petits, plus ils remontent facilement la chaîne alimentaire, jusqu’à nos assiettes. Même s’il est encore trop tôt pour évaluer très  précisément l’impact des microplastiques sur la santé humaine, il est certainement grand temps d’en réduire notre consommation et nos rejets.

Médiation scientifique

Assurée par Fanny Lalegerie, doctorante de l’Ecole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 1ère année de thèse au Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (LEMAR) à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM)

L’article

M. Long, I. Paul-Pont, H. Hégaret, B. Moriceau, C. Lambert, A. Huvet, P. Soudant (2017) Interactions between polystyrene microplastics and marine phytoplankton lead to species-specific hetero-aggregation. Environmental Pollution 228:454–463 . doi: 10.1016/j.envpol.2017.05.047
Les auteurs
Cet article est issu d’une collaboration entre des chercheurs du Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (https://www-iuem.univ-brest.fr/LEMAR) (LEMAR, UMR 6539, France) et de la School of Chemistry (https://smah.uow.edu.au/chem/index.html) (University of Wollongong, Australia)

La revue

« Environmental pollution » est une revue internationale publiée depuis 1980 par Elsevier et qui s’intéresse aux effets biologiques, sanitaires et écologiques liés à la pollution environnementale.

Contacts

Bibliothèque La Pérouse : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier
Service Communication : communication.iuem@univ-brest.fr

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