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“La” pêche : question de genre ?

Les conventions et accords internationaux relatifs à la gestion des ressources naturelles portent, depuis quelques années, une attention croissante aux réalités de la vie des hommes et femmes du secteur de la pêche, et l’égalité des sexes en constitue un objectif non négligeable. Cependant les données en sciences sociales, liées à la contribution des femmes dans ce domaine d’activités, restent éparses. En effet la plupart des travaux sont réalisés dans le cadre des sciences naturelles (écologie, biologie…) et halieutiques plutôt orientées vers la gestion des stocks et des ressources, avec pour principal objectif la maîtrise de l’effort de pêche, via de nouvelles réglementations.

Quelles que soient les régions du monde, les femmes jouent un rôle important dans les nombreuses tâches liées à la pêche. Elles restent cependant plus particulièrement impliquées dans les activités spécifiquement côtières et les pêcheries artisanales de taille modeste. Afin d’améliorer la visibilité de leurs nombreuses contributions dans ce secteur d’activités, le groupe de travail “Gendered Seas” de l’action COST  “Ocean Past Platform” et le cluster “Women & Gender in Fisheries” du réseau “Too Big To Ignore”, ont collecté et agrégé des travaux de recherche récents, décrivant ces nombreuses expériences.

Cette diversité est illustrée au travers d’études de cas, conduites entre 2007 et 2018, et qui concernent des régions et des populations variées ; le travail réalisé dans le cadre de chaque thématique de recherche est contextuel et empirique, il dépend en effet de nombreux facteurs spécifiques à la région étudiée : son histoire, ses ressources, son contexte social… Cependant, la mise en parallèle des résultats des différentes études permet d’aboutir à des observations plus générales sur les spécificités du rôle des femmes dans le secteur des pêches.

Deux études réalisées dans les îles Salomon et aux Philippines mettent en avant le clivage du travail par genre. Les femmes restent bien davantage impliquées dans la collecte de coquillages, la récolte de poissons et autres activités à caractère littoral, tandis que les hommes utilisent les bateaux et partent en mer. Les activités des femmes sont perçues comme des apports financiers complémentaires qui permettent d’assurer la subsistance de la famille lorsque les revenus des hommes viennent à n’être pas suffisants.

Figure 1 : Exemple d’activités typiquement féminines dans les îles Salomon :  fabrication et vente de bijoux et monnaies en coquillages collectés localement. Photo : K. Barclay, N. McClean, Univ. tech. Sydney, Australie. Extrait de Barclay et al., 2018. Lagoon livelihoods: gender and shell money in Langalanga, Solomon Islands.

Dans les pays du nord de l’Europe, l’organisation du travail a également évoluée. Une étude réalisée en Finlande montre que si les femmes de marins étaient traditionnellement employées dans les usines de transformation de poissons, de nos jours elles recherchent préférentiellement à compléter les revenus familiaux par un travail salarié et durable dans le tertiaire.

Ainsi dans chaque région étudiée et malgré leur forte implication dans le secteur de la pêche, la représentation des femmes au sein des institutions locales de gestion des ressources reste anecdotique. Le travail côtier plus spécifiquement féminin est certainement l’une des raisons de cet état de fait, il est en effet moins valorisé économiquement que la pêche au large qui revient aux hommes. Pourtant, l’activité littorale est souvent cruciale pour la subsistance des familles concernées, soit parce qu’elle permet la consommation directe des poissons ou coquillages pêchés, soit du fait des revenus générés par la vente de ces produits. Le manque d’influence des femmes sur la gestion des ressources dont elles dépendent peut concourir à la perte de leurs activités. En effet, si les différentes réglementations mises en place prennent bien en considération les problématiques liées à la pêche au large, elles laissent souvent totalement de côté les activités de récolte côtières.

Dans la région du lagon de Roviana (îles Salomon), une interdiction de pêche a été décidée pour une partie du lagon dans le cadre d’un programme de conservation régionale. Cette décision a été prescrite par une organisation communautaire, en lien avec le comité de gestion locale et les chefs coutumiers. Au sein de cette société au fonctionnement très patriarcal où la majorité des décisionnaires sont des hommes, l’avis des femmes, quand il est exprimé, n’est pas pris en compte. Ainsi l’interdiction qui concernait une zone de pêche importante pour les pratiques des femmes, les amenait soit à enfreindre les règles et donc à se mettre en faute, soit à renoncer à un apport alimentaire ou financier non négligeable pour leur foyer.

A contrario une étude de cas réalisée au Chili montre qu’il est possible pour des collectifs de femmes de se structurer et de faire entendre leur voix. Les ramasseuses d’algues de Coliumo se sont organisées pour faire valoir leurs compétences et réclamer l’usage exclusif des zones maritimes littorales, dans le cadre du système national TURFs (Territorial Use Rights for Fishing). Elles ont démontré non seulement leurs capacités à récolter des algues, mais aussi à négocier et gérer efficacement les ressources. Plutôt que d’être marginalisées voire exclues par des décisions prises sans elles, elles se sont émancipées, ont assuré la gestion des ressources dont elles dépendent et ainsi augmenté les revenus liés à leur activité de récolte.

Figure 2 : Carte issue de Google Earth Map adaptée par le sous-secrétariat des pêches du Chili. Elle représente les trois zones maritimes TURFs de Coliumo gérées par des collectifs de femmes, la zone jaune étant en cours de validation. Extrait de Gallardo, Sauders 2018 : Women’s entrance into artisanal fisheries in Chile.

Toutes les études réalisées soulignent bien l’importance du travail des femmes dans le secteur de la pêche, mais démontrent surtout le manque de représentativité dont elles sont victimes, leur travail demeurant moins considéré que celui des hommes qui partent pêcher en mer. Cependant les initiatives qui vont dans le sens de leur émancipation, sont de plus en plus fréquentes. Ces différentes observations devraient permettre d’éclairer les décisions politiques à venir et de servir de référence aux futures études sur l’évolution de la position des femmes dans ce secteur économique. “La” pêche pourrait ainsi revendiquer bien davantage son genre féminin.

Médiation scientifique

Assurée par Blandine Trouche, doctorante de l’École Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 4ème année de thèse en Microbiologie au sein du Laboratoire de Microbiologie des Environnements Extrêmes (LMEE), à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM).

L’article 

Frangoudes, K., Gerrard, S. (En)Gendering Change in Small-Scale Fisheries and Fishing Communities in a Globalized World. Maritime Studies 17, 117–124 (2018).

https://doi.org/10.1007/s40152-018-0113-9

Les auteurs 

L’article présenté est le travail de Katia Frangoudes, chercheure à l’Université de Bretagne Occidentale au sein du laboratoire AMURE (Aménagement des Usages des Ressources et des Espaces marins et littoraux), et Siri Gerrard, professeure à l’Université de Tromsø et membre du Centre for Women and Gender Research.

La revue 

« Maritime Studies » ou MAST (https://www.springer.com/journal/40152) est une revue internationale produite par le Centre pour la Recherche Maritime (MARE). Centrée plus particulièrement sur les sciences sociales, cette revue interdisciplinaire se veut une plateforme pour la discussion académique des affaires côtières ou marines.

Contacts

Auteurs : consulter l’annuaire de l’IUEM

Bibliothèque La Pérouse : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier

Service Communication et médiation scientifique : communication.iuem@univ-brest.fr

“Le thon c’est bon”… mais sans mercure !

Le mercure, élément chimique classé “extrêmement préoccupant pour la santé” selon l’OMS, s’infiltre dans notre alimentation par la consommation de certains poissons comme le thon. Comprendre les origines de cette contamination représente donc un enjeu de santé publique majeur.

Rejeté dans l’atmosphère par le volcanisme mais surtout par les activités humaines comme la combustion du charbon, le mercure finit par se déposer à la surface de l’Océan. Une fraction est convertie par transformations chimiques, en méthylmercure, substance aisément assimilée par le phytoplancton à la base du réseau alimentaire et qui s’accumule de maillon en maillon (processus de bioaccumulation) jusqu’aux prédateurs supérieurs (le thon par exemple).

Or le méthylmercure est une substance toxique pour l’homme et tout particulièrement pour l’enfant et le nourrisson. Elle impacte le système nerveux central et peut, à partir de certaines doses, endommager la mémoire, la cognition, l’attention ou encore le langage. On estime que tous les individus présentent, au minimum, des traces de méthylmercure dans leurs tissus, preuve de son omniprésence dans l’environnement et de l’exposition conséquente à ce composé, via la consommation de poissons et de crustacés.

Pour connaître les paramètres qui influencent les concentrations en méthylmercure, des chercheurs de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), de la Communauté du Pacifique Sud (CPS) et de l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC) ont dans un premier temps évalué les concentrations pour trois espèces de thons du Pacifique occidental et central : le thon jaune (Albacore), le thon blanc (Germon) et le thon obèse (Bachi). Des échantillons ont ainsi été prélevés dans les muscles de 1000 spécimens (364 thons obèses, 417 thons jaunes et 163 thons blancs), et analysés. Les chercheurs ont ensuite mis au point des modèles permettant de cartographier la variance régionale du méthylmercure pour ces 1000 thons, selon leur lieu de pêche.

Les modèles révèlent que les concentrations dépendent non seulement de l’espèce considérée et de sa taille, mais également de sa localisation géographique (cf. fig.1). Elles sont plus élevées dans le cas du thon obèse par ex. et dans la région sud-ouest du Pacifique autour de la Nouvelle-Calédonie et des îles Fidji (cf. fig. 1 : en rouge).

Figure 1 : Distribution géographique des teneurs en mercure – Pacifique occidental et central – thons d’une taille standard de 1 m (source : CPS n°158)

Pour expliquer ces résultats, les chercheurs se sont intéressés à l’influence de différents facteurs : physiologiques, environnementaux et écologiques.

Importance de la taille

Sans surprise, au sein d’une même espèce, les plus fortes concentrations en méthylmercure sont retrouvées chez les plus grands spécimens. En effet, par le processus de bioaccumulation, ce composé est moins vite éliminé qu’il n’est absorbé et s’accumule au fur et à mesure que le poisson grandit et vieillit. Toutefois, les seuils de méthylmercure préconisés par l’OMS (1 mg de mercure pour 1kg de poisson) sont rarement dépassés. Seules 1% des prises de thons jaunes et de thons blancs, et 11% des thons obèses, principalement les plus gros individus, affichent des concentrations supérieures aux maximums autorisés.

Importance de la profondeur

La concentration de ce composé s’accroît avec la profondeur (cf. fig. 2) : si le mercure se dépose en surface des océans c’est en profondeur qu’il est, pour l’essentiel, transformé en méthylmercure par les bactéries. Des caractéristiques propres aux différentes espèces et à leur distribution géographique permettent d’expliquer pourquoi certaines d’entre elles séjournent en eaux plus profondes et présentent de ce fait des teneurs en méthylmercure comparativement plus élevées.

                                       Actu

Figure 2 : Représentation de l’habitat vertical des thons avec la courbe de teneur en méthylmercure de l’eau en fonction de la profondeur (source : CPS)

Importance de l’espèce 

En standardisant la taille des thons, les chercheurs ont observé des différences de teneurs en méthylmercure entre les trois espèces ; le thon obèse présente des taux supérieurs aux deux autres (cf. fig. 1). Cette différence s’explique par des caractéristiques de longévité, d’alimentation et de capacités physiologiques. En effet, le Bachi vit plus longtemps, favorisant ainsi l’accumulation de méthylmercure dans ses tissus ; par ailleurs il possède les capacités physiques pour plonger plus profondément que les thons jaunes ou blancs, là où la production de méthylmercure est plus importante. Les Germons et Albacore, qui évoluent davantage en surface, sont de ce fait moins exposés et présentent des teneurs en méthylmercure plus faibles (cf. fig. 2).

Importance de la zone de pêche

En plus des distinctions interspécifiques et de l’incidence de la taille du poisson, les chercheurs ont également montré qu’au sein d’une même espèce, des différences régionales existent. Pour le thon obèse par ex., la concentration en méthylmercure est plus élevée autour de la Nouvelle-Calédonie et des îles Fidji (cf. fig. 1 : en rouge) que vers l’équateur (cf. fig. 1 : en bleu) ; de même la température de l’eau y diminue moins rapidement avec la profondeur (température >12° jusqu’à 430m, pour 275m à proximité de l’équateur), les thons obèses adaptés aux “eaux chaudes” y séjournent ainsi plus en profondeur et rapprochant leurs lieux de chasse et de nourriture des lieux de production du contaminant, ils augmentent leurs taux de méthylmercure.

D’autres facteurs de moindre importance, comme la position du thon dans le réseau trophique, peuvent aussi expliquer ces variations de concentration. En effet plus l’espèce se situe à une place élevée en tant que prédateur, plus elle ingère et absorbe du méthylmercure via son alimentation (autres espèces) et possède au final une charge corporelle en contaminant supérieure, à celle des poissons consommés.

En éclairant les processus qui exposent les thons à des teneurs en mercure plus élevées, en fonction de leurs taille, espèce, et lieu de pêche, cette étude permet d’évaluer avantages et inconvénients liés à la consommation de ces espèces par l’homme et ainsi de participer à en diminuer le risque sanitaire.

 

Médiation scientifique

Assurée par Fanny Châles, doctorante de l’Ecole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML), en 1ère année de thèse au Laboratoire Aménagement des Usages, des Ressources et des Espaces marins et littoraux (AMURE) à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM/UBO).

L’article

Houssard, P., Point, D., Tremblay-Boyer, L., Allain, V., Pethybridge, H., Masbou, J, Ferriss B. E., Baya, A. P., Lagane, C., Menkes, C. E., Letourneur, Y., Lorrain, A. (2019). A model of mercury distribution in tuna from the western and central Pacific ocean: influence of physiology, ecology and environmental factors. Environmental science & technology, 53(3), 1422-1431. doi : 10.1021/acs.est.8b06058

Les auteurs

L’étude présentée a été menée dans le cadre de la thèse de P. Houssard (IRD et Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin -LEMAR, IUEM/UBO). L’article résulte de la collaboration de chercheurs de l’IRD, du LEMAR (UBO), de l’université de Nouvelle-Calédonie, du laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET), de l’université Pierre et Marie Curie, du CSIRO (Australie), de la NOAA (USA) et de la CPS (Nouvelle-Calédonie).

La revue

« The ICES Journal of Marine Science » publie des articles originaux, des essais d’opinions, des projets pour l’avenir  et des revues critiques qui contribuent à notre compréhension scientifique des systèmes marins.

Contacts

Auteurs :  anne.lorrain@ird.fr / david.point@ird.fr

Bibliothèque La Pérouse : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier

Service Communication et médiation scientifique : communication.iuem@univ-brest.fr

 

 

Efflorescences de microalgues toxiques – Comment maintenir les pêcheries de coquilles ?

Le lancement du projet MaSCoET, coordonné scientifiquement par l’Ifremer et impliquant le Laboratoire des sciences de l’environnement marin (LEMAR, UBO/CNRS/IRD/Ifremer) de l’IUEM a eu lieu le 26 mars 2019. Il vise à mieux comprendre les efflorescences toxiques de l’algue Pseudo-nitzschia et leurs conséquences sur les pêcheries de coquilles Saint-Jacques.

La coquille Saint-Jacques est la troisième espèce vendue sur les criées françaises. Elle est exploitée du nord de la France aux Pertuis Charentais. Depuis les années 2000, partout sur le littoral, les professionnels ont été contraints à des fermetures de la pêche dues aux efflorescences de la microalgue Pseudo-nitzschia, capable de produire des toxines amnésiantes rendant les coquillages impropres à la consommation. Ces fermetures peuvent susciter un report de pêche sur une autre espèce, le pétoncle noir.

Plusieurs aspects de ces contaminations interrogent encore les scientifiques. Comment les efflorescences se développent d’un site à l’autre ? Pourquoi la coquille Saint-Jacques se décontamine-t-elle lentement par rapport au pétoncle noir ? La ressource en pétoncle noir est-elle suffisante pour pallier aux fermetures de coquilles Saint-Jacques ? Le projet MaSCoET (Maintien du stock de coquillages en lien avec la problématique des efflorescences toxiques) vise à répondre à ces questions et à émettre des recommandations aux gestionnaires des pêches pour permettre l’élaboration d’outils
de gestion en concertation avec les professionnels.

Des mesures en cours suite à une première efflorescence de Pseudo-nitzschia

Le suivi des efflorescences a déjà commencé depuis début mars, avec des prélèvements d’eau réguliers effectués par les équipes scientifiques pour suivre un premier épisode de Pseudo-nitzschia relevé par le REPHY (Réseau d’observation et de surveillance du phytoplancton et des phycotoxines) en pointe finistérienne.
Un site atelier en rade de Brest sera plus particulièrement suivi pour la contamination des coquillages et le suivi de la population de pétoncle. Des analyses fines sur les coquillages à différents stades de contamination seront menées à l’écloserie du Tinduff (29) et en laboratoire. La population de pétoncle noir sera évaluée grâce à une campagne
de pêche, avec des mesures d’abondance. Ces travaux scientifiques de terrain seront complétés par le développement d’outils de calculs numériques. Le projet permettra ainsi de mieux comprendre les phénomènes étudiés, tester des hypothèses ou scénarios avec l’objectif d’aboutir in fine à des propositions et/ou scénarios de gestion.

Le projet MaSCoET est financé principalement par FFP (France Filière Pêche) mais aussi par Brest Métropole, pour une durée de 5 ans. Il est mené au niveau scientifique par l’Ifremer (coordinateur) et le Lemar, en partenariat avec plusieurs comités des pêches (CDPMEM29, CDPMEM22, CRPMEM Bretagne, CDPMEM17, CRPMEM Normandie, CDPMEM56 et COREPEM) et avec l’appui de l’écloserie du Tinduff.

Crédit photo : Ifremer – Xavier Caisey

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