“Le thon c’est bon”… mais sans mercure !
Le mercure, élément chimique classé “extrêmement préoccupant pour la santé” selon l’OMS, s’infiltre dans notre alimentation par la consommation de certains poissons comme le thon. Comprendre les origines de cette contamination représente donc un enjeu de santé publique majeur.
Rejeté dans l’atmosphère par le volcanisme mais surtout par les activités humaines comme la combustion du charbon, le mercure finit par se déposer à la surface de l’Océan. Une fraction est convertie par transformations chimiques, en méthylmercure, substance aisément assimilée par le phytoplancton à la base du réseau alimentaire et qui s’accumule de maillon en maillon (processus de bioaccumulation) jusqu’aux prédateurs supérieurs (le thon par exemple).
Or le méthylmercure est une substance toxique pour l’homme et tout particulièrement pour l’enfant et le nourrisson. Elle impacte le système nerveux central et peut, à partir de certaines doses, endommager la mémoire, la cognition, l’attention ou encore le langage. On estime que tous les individus présentent, au minimum, des traces de méthylmercure dans leurs tissus, preuve de son omniprésence dans l’environnement et de l’exposition conséquente à ce composé, via la consommation de poissons et de crustacés.
Pour connaître les paramètres qui influencent les concentrations en méthylmercure, des chercheurs de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), de la Communauté du Pacifique Sud (CPS) et de l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC) ont dans un premier temps évalué les concentrations pour trois espèces de thons du Pacifique occidental et central : le thon jaune (Albacore), le thon blanc (Germon) et le thon obèse (Bachi). Des échantillons ont ainsi été prélevés dans les muscles de 1000 spécimens (364 thons obèses, 417 thons jaunes et 163 thons blancs), et analysés. Les chercheurs ont ensuite mis au point des modèles permettant de cartographier la variance régionale du méthylmercure pour ces 1000 thons, selon leur lieu de pêche.
Les modèles révèlent que les concentrations dépendent non seulement de l’espèce considérée et de sa taille, mais également de sa localisation géographique (cf. fig.1). Elles sont plus élevées dans le cas du thon obèse par ex. et dans la région sud-ouest du Pacifique autour de la Nouvelle-Calédonie et des îles Fidji (cf. fig. 1 : en rouge).
Figure 1 : Distribution géographique des teneurs en mercure – Pacifique occidental et central – thons d’une taille standard de 1 m (source : CPS n°158)
Pour expliquer ces résultats, les chercheurs se sont intéressés à l’influence de différents facteurs : physiologiques, environnementaux et écologiques.
Importance de la taille
Sans surprise, au sein d’une même espèce, les plus fortes concentrations en méthylmercure sont retrouvées chez les plus grands spécimens. En effet, par le processus de bioaccumulation, ce composé est moins vite éliminé qu’il n’est absorbé et s’accumule au fur et à mesure que le poisson grandit et vieillit. Toutefois, les seuils de méthylmercure préconisés par l’OMS (1 mg de mercure pour 1kg de poisson) sont rarement dépassés. Seules 1% des prises de thons jaunes et de thons blancs, et 11% des thons obèses, principalement les plus gros individus, affichent des concentrations supérieures aux maximums autorisés.
Importance de la profondeur
La concentration de ce composé s’accroît avec la profondeur (cf. fig. 2) : si le mercure se dépose en surface des océans c’est en profondeur qu’il est, pour l’essentiel, transformé en méthylmercure par les bactéries. Des caractéristiques propres aux différentes espèces et à leur distribution géographique permettent d’expliquer pourquoi certaines d’entre elles séjournent en eaux plus profondes et présentent de ce fait des teneurs en méthylmercure comparativement plus élevées.
Figure 2 : Représentation de l’habitat vertical des thons avec la courbe de teneur en méthylmercure de l’eau en fonction de la profondeur (source : CPS)
Importance de l’espèce
En standardisant la taille des thons, les chercheurs ont observé des différences de teneurs en méthylmercure entre les trois espèces ; le thon obèse présente des taux supérieurs aux deux autres (cf. fig. 1). Cette différence s’explique par des caractéristiques de longévité, d’alimentation et de capacités physiologiques. En effet, le Bachi vit plus longtemps, favorisant ainsi l’accumulation de méthylmercure dans ses tissus ; par ailleurs il possède les capacités physiques pour plonger plus profondément que les thons jaunes ou blancs, là où la production de méthylmercure est plus importante. Les Germons et Albacore, qui évoluent davantage en surface, sont de ce fait moins exposés et présentent des teneurs en méthylmercure plus faibles (cf. fig. 2).
Importance de la zone de pêche
En plus des distinctions interspécifiques et de l’incidence de la taille du poisson, les chercheurs ont également montré qu’au sein d’une même espèce, des différences régionales existent. Pour le thon obèse par ex., la concentration en méthylmercure est plus élevée autour de la Nouvelle-Calédonie et des îles Fidji (cf. fig. 1 : en rouge) que vers l’équateur (cf. fig. 1 : en bleu) ; de même la température de l’eau y diminue moins rapidement avec la profondeur (température >12° jusqu’à 430m, pour 275m à proximité de l’équateur), les thons obèses adaptés aux “eaux chaudes” y séjournent ainsi plus en profondeur et rapprochant leurs lieux de chasse et de nourriture des lieux de production du contaminant, ils augmentent leurs taux de méthylmercure.
D’autres facteurs de moindre importance, comme la position du thon dans le réseau trophique, peuvent aussi expliquer ces variations de concentration. En effet plus l’espèce se situe à une place élevée en tant que prédateur, plus elle ingère et absorbe du méthylmercure via son alimentation (autres espèces) et possède au final une charge corporelle en contaminant supérieure, à celle des poissons consommés.
En éclairant les processus qui exposent les thons à des teneurs en mercure plus élevées, en fonction de leurs taille, espèce, et lieu de pêche, cette étude permet d’évaluer avantages et inconvénients liés à la consommation de ces espèces par l’homme et ainsi de participer à en diminuer le risque sanitaire.
Médiation scientifique
Assurée par Fanny Châles, doctorante de l’Ecole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML), en 1ère année de thèse au Laboratoire Aménagement des Usages, des Ressources et des Espaces marins et littoraux (AMURE) à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM/UBO).
L’article
Houssard, P., Point, D., Tremblay-Boyer, L., Allain, V., Pethybridge, H., Masbou, J, Ferriss B. E., Baya, A. P., Lagane, C., Menkes, C. E., Letourneur, Y., Lorrain, A. (2019). A model of mercury distribution in tuna from the western and central Pacific ocean: influence of physiology, ecology and environmental factors. Environmental science & technology, 53(3), 1422-1431. doi : 10.1021/acs.est.8b06058
Les auteurs
L’étude présentée a été menée dans le cadre de la thèse de P. Houssard (IRD et Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin -LEMAR, IUEM/UBO). L’article résulte de la collaboration de chercheurs de l’IRD, du LEMAR (UBO), de l’université de Nouvelle-Calédonie, du laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET), de l’université Pierre et Marie Curie, du CSIRO (Australie), de la NOAA (USA) et de la CPS (Nouvelle-Calédonie).
La revue
« The ICES Journal of Marine Science » publie des articles originaux, des essais d’opinions, des projets pour l’avenir et des revues critiques qui contribuent à notre compréhension scientifique des systèmes marins.
Contacts
Auteurs : anne.lorrain@ird.fr / david.point@ird.fr
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