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Océans de plastique

Du fait d’une production mondiale en constante augmentation, le nombre de produits plastiques polluant les océans s’accroît. Sous l’action des vagues, de la lumière et des conditions météorologiques, ces déchets se fragmentent jusqu’à atteindre moins de 5mm de diamètre, on parle alors de microplastiques qui s’accumulent dans les écosystèmes marins. Le nombre de ces particules dans les océans est estimé à plusieurs milliards et leur présence pourrait avoir des conséquences néfastes pour les espèces animales comme pour l’Homme. En effet, ces microfragments sont si petits qu’ils se confondent avec le phytoplancton constitué d’algues microscopiques, celui-ci forme le premier maillon de la chaîne alimentaire en milieu marin et produit, grâce à la photosynthèse, une grande partie de l’oxygène de notre planète. Les microplastiques peuvent donc atteindre facilement les niveaux trophiques supérieurs et être ingérés par les organismes marins directement ou indirectement via des vecteurs comme le phytoplancton avec lequel ils interagissent en s’agrégeant (hétéro-agrégats). On les retrouve ainsi absorbés par un très large éventail de crustacés, bivalves, mammifères… jusqu’aux poissons qui garnissent nos assiettes.

Les 3 espèces de phytoplancton étudiées, vues au microscope Heterocapsa triquetra, Tisochrysis lutea et Chaetoceros neogracile

L’étude abordée ici, s’est focalisée sur des billes de polystyrène (l’un des 3 polymères de plastique les plus présents dans les océans avec le polyéthylène et le polypropylène) de 2 micromètres de diamètre. Afin de comprendre comment le phytoplancton interagit avec ces fragments, leur potentiel d’agrégation a été étudié via des cultures en laboratoire. Trois espèces de phytoplancton Heterocapsa triquetra (un dinoflagellé), Tisochrysis lutea (un prymnésiophycée), et Chaetoceros neogracile (une diatomée) ont ainsi été exposées aux grains de plastique (à une concentration de 3,96 microgrammes/litre). Leur croissance et leur teneur en pigments ont également été surveillées pour vérifier un éventuel impact physiologique.

Figure 1 : Cytogramme de la culture de C. neogracile (à gauche) et micrographie associée des particules de microplastiques, des cellules de C. neogracile et des hétéro-agrégats (à droite).

La fluorescence rouge est liée à la présence de pigments chlorophylliens dans les algues et la fluorescence verte à celle des microbilles de plastique (UA = unité arbitraire) La méthode de la cytométrie en flux a été utilisée pour observer la répartition du plastique dans les cultures. Cette technique, déjà très employée pour l’étude du phytoplancton, permet de différencier et de dénombrer les particules selon leurs caractéristiques. Ainsi il a été possible de distinguer les cellules de phytoplancton des microparticules de plastique et des hétéro-agrégats (plastiques collés au phytoplancton) (fig. 1). La microscopie 3D a également permis d’approfondir l’étude en discernant les morceaux de plastique présents à la surface de la cellule de ceux phagocytés (ingérés par la cellule). Chez Chaetoceros neogracile, la proportion de billes collées aux microalgues était importante, atteignant 19 % de la teneur totale en microplastique (fig. 2B).

Figure 2 : Répartition des microplastiques exprimée en pourcentage lors des expériences en culture. A: Flacon témoin avec du plastique et sans microalgue, B: Flacon avec du plastique et des cellules de Chaetoceros neogracile. Les lignes vertes représentent la concentration en microalgues (nombre de cellules par millilitre) ; les lignes jaunes et bleues représentent respectivement le pourcentage de microplastiques libres ou adsorbés sur la verrerie et les lignes rouges représentent le pourcentage d’hétéro-agrégats.

 

Bien que la cytomérie en flux n’ait pas permis de mettre en évidence une interaction (hétéro-agrégats) entre les particules et les cellules de Heterocapsa triquetra ou Tisochrysis lutea, l’utilisation de la microscopie 3D a, quant à elle, révélé la présence chez Heterocapsa triquetra de ces hétéro-agrégats et de fragments de plastique phagocytés ou présents dans des débris cellulaires (Fig. 3).
Par ailleurs, la quantité de microplastiques libres dans le milieu de culture a progressivement diminué dans le temps pour les 3 espèces en partie à cause de l’adhésion des particules aux parois en verre des flasques (Fig. 2A). En fin de culture, jusqu’à 97% des microbilles étaient collées aux parois pour Tisochrysis lutea. L’agrégation des grains de plastique entre eux et de bactéries entres elles a également été observée dans tous les milieux de culture. Par ailleurs la production d’exopolysaccharides (sucres collants secrétés à l’extérieur de la cellule) par les bactéries ou certaines espèces de phytoplancton en fonction de leur stade physiologique, pourrait expliquer cette formation d’agrégats. La présence de molécules aux propriétés adhérentes justifierait également la quantité croissante de particules collées à la verrerie au cours des cultures non exemptes de bactéries.

Figure 3 : Micrographies de cellules d’Heterocapsa triquetra en présence de microplastiques. A : phagocytose en cours ; B : présence de microbilles dans des produits de lyses cellulaires ; C : hétéro-agrégats. (en vert : microplastiques, en rouge : pigments chlorophylliens, en bleu : enveloppe d’H. triquetra)

D’un point de vue physiologique, aucun effet n’a été observé sur la croissance ou la fluorescence des 3 espèces de phytoplancton, peut-être du fait d’une concentration testée relativement faible. A contrario de nombreuses études ont déjà démontré des effets physiologiques et toxicologiques des déchets plastiques sur un large éventail d’organismes marins, mettant ainsi en avant le problème de l’évaluation des teneurs en polluants, testées lors des expériences en laboratoire ; en deçà d’un certain seuil, la quantité est trop faible pour en observer l’effet, au-delà elle dépasse, à l’inverse, largement ce que l’organisme peut supporter au point que des effets néfastes vont inévitablement être relevés. Cette observation n’est pour autant, pas forcément significative de ce qui se passe réellement en milieu naturel où il reste difficile de quantifier ces microparticules. Même si elle ne reflète pas la complexité de l’environnement marin, cette étude démontre qu’il existe potentiellement des interactions phytoplancton/microplastique qui semblent dépendre de l’espèce et du cycle physiologique des microalgues.
Ces interférences peuvent alors avoir un impact sur la distribution et la biodisponibilité des microplastiques et expliqueraient que jusqu’à présent, les quantités de plastiques échantillonnées à la surface des océans, restent moins importantes que celles estimées par les modèles prédictifs. On avance en effet l’hypothèse que ces plastiques seraient partiellement entraînés au fond des océans via leur interaction avec le phytoplancton plus lourd. Par ailleurs, des travaux ont déjà démontré que les bivalves consommaient d’avantage de ces déchets via la formation d’agrégats concentrant les particules synthétiques.

On estime alors que plus les fragments de plastique deviennent petits, plus ils remontent facilement la chaîne alimentaire, jusqu’à nos assiettes. Même s’il est encore trop tôt pour évaluer très  précisément l’impact des microplastiques sur la santé humaine, il est certainement grand temps d’en réduire notre consommation et nos rejets.

Médiation scientifique

Assurée par Fanny Lalegerie, doctorante de l’Ecole Doctorale des Sciences de la Mer et du Littoral (EDSML – Université de Bretagne Occidentale), en 1ère année de thèse au Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (LEMAR) à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM)

L’article

M. Long, I. Paul-Pont, H. Hégaret, B. Moriceau, C. Lambert, A. Huvet, P. Soudant (2017) Interactions between polystyrene microplastics and marine phytoplankton lead to species-specific hetero-aggregation. Environmental Pollution 228:454–463 . doi: 10.1016/j.envpol.2017.05.047
Les auteurs
Cet article est issu d’une collaboration entre des chercheurs du Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (https://www-iuem.univ-brest.fr/LEMAR) (LEMAR, UMR 6539, France) et de la School of Chemistry (https://smah.uow.edu.au/chem/index.html) (University of Wollongong, Australia)

La revue

« Environmental pollution » est une revue internationale publiée depuis 1980 par Elsevier et qui s’intéresse aux effets biologiques, sanitaires et écologiques liés à la pollution environnementale.

Contacts

Bibliothèque La Pérouse : Suivi éditorial, rédaction, corrections et mise en page : Fanny Barbier
Service Communication : communication.iuem@univ-brest.fr

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