Le mercure comme horloge isotopique du temps de résidence côtier et de la migration des requins-marteaux

Résumé et points forts

  1.     La gestion des taxons migrateurs repose sur la connaissance de leurs mouvements. Parmi eux, le changement ontogénique d’habitat, c’est-à-dire le déplacement des juvéniles depuis leurs nurseries vers les habitats occupés par les individus matures, est un trait comportemental partagé par un grand nombre d’organismes migrateurs marins, qui permet la répartition des ressources alimentaires entre les différents stades de vie et la réduction globale du risque de prédation. Caractériser la chronologie d’une telle migration est de ce fait essentiel pour mettre en œuvre des plans de gestion efficaces, notamment dans les zones côtières pour atténuer l’impact des pêcheries sur les stocks de juvéniles.
  2.     Le long des côtes Pacifique du Mexique, l’utilisation de l’habitat du requin-marteau commun (Sphyrna zygaena) est mal décrite alors que l’espèce est fortement exploitée. Étant donné les incertitudes autours de la taille et de l’âge à laquelle cette espèce migre depuis ses zones de nurseries côtières vers le large où elle se reproduit, une évaluation plus précise de ses mouvements est nécessaire.
  3.     La dégradation photochimique du mercure entraîne un fractionnement isotopique indépendant de la masse (Δ199Hg) qui peut être utilisé pour distinguer entre les habitats côtiers peu profonds des nouveau-nés et la recherche de nourriture au large des juvéniles proches de la maturité sexuelle. Dans cette étude, nous présentons l’application des valeurs en Δ199Hg au concept d’horloge moléculaire pour prédire l’âge et la taille à laquelle le changement ontogénique d’habitat à lieu chez le requin-marteau commun, en se basant sur leurs compositions isotopiques dans leurs habitats de départ et d’arrivée et sur le taux de renouvellement isotopique du tissus étudié (ici le muscle).
  4.     Chez les juvéniles, les valeurs de Δ199Hg observées dans le muscle diminuent en fonction de la taille, reflétant une dépendance croissante à l’égard des proies mésopélagiques au large avec l’âge. Les estimations des temps de résidence ont, elles, indiqué que le requin-marteau commun utilise les ressources côtières pendant 2 ans avant d’initier sa migration vers le large, suggérant une résidence prolongée dans ces écosystèmes.
  5.     Cette étude démontre comment les isotopes stables du mercure et les horloges isotopiques peuvent être utilisés comme un outil complémentaire pour la gestion des stocks en prédisant le moment de la migration des animaux marins : un aspect clé de la conservation de ces espèces. Le long des côtes Pacifique du Mexique, la pression de pêche sur les requins s’exerce dans les habitats côtiers, épuisant les stocks de juvéniles. Par conséquent, il est impératif de disposer d’outils d’aide à la décision en matière de gestion pour maintenir les niveaux de population des premiers stades de la vie à des niveaux stables au fil du temps. La découverte que le requin-marteau commun dépend largement d’habitats soumis à de fortes pressions de pêche pendant les deux premières années de leur vie confirme la pertinence de l’établissement d’une taille minimale de capture pour les pêcheries côtières. De plus, ce résultat démontre comment l’actuelle fermeture saisonnière de la pêche aux requins mise en place par le gouvernement mexicain pourrait être insuffisante pour protéger efficacement l’espèce.

Figure de synthèse : Migration du requin-marteau commun le long des côtes Pacifique du Mexique. L’horloge isotopique du mercure estime que le changement d’habitat depuis les milieux côtiers vers l’océan ouvert a lieu chez les juvéniles âgés de deux ans, suggérant une pression de pêche accrue sur les premiers stades de vie..

 

Reference

Besnard, L., Lucca, B. M., Shipley, O. N., Le Croizier, G., Martínez-Rincón, R. O., Sonke, J. E., Point, D., Galván-Magaña, F., Kraffe, E., Kwon, S. Y., & Schaal, G. (2023). Mercury isotope clocks predict coastal residency and migration timing of hammerhead sharks. Journal of Applied Ecology, 60, 803–813. https://doi.org/10.1111/1365-2664.1438