Dance and biology
Frontières coquillières en milieu marin (2006-2010)
La construction d’une démarche scientifique nécessite des capacités de choix et de projection dans l’avenir, lesquels font intervenir d’une part une analyse fine de connaissances dogmatiques mais aussi un réseau de savoirs intimes difficilement quantifiables que l’on peut nommer l’intuition. Allier ces deux savoirs, intellectuels et sensibles fait partie intégrante de notre démarche scientifique, même si très rarement le chercheur en sciences le conscientise. Pourquoi le scientifique nie dans son travail quotidien l’apport du sensible dans sa réflexion, le choix de ses hypothèses, la mise en place de ses protocoles expérimentaux, ses analyses de résultats. Dans les sciences du vivant, comme la biologie, une grande part de nos approches, sont expérimentales, et nécessite des répétitions nombreuses. Dans l’art, et en particulier dans la danse, le terme répétitions est un terme communément utilisée pour illustrer le travail quotidien des danseurs préparant un travail chorégraphique. La démarche artistique et en particulier celle chorégraphique implique une recherche continue et une approche expérimentale corporelle rigoureuse. L’expérimentation, ne serait-ce pas aussi ce qui nous relie nous scientifiques et artistes, et plus précisément pour les danseurs et biologistes, une recherche commune sur le vivant, le mouvement de la vie.
Lors du projet de recherche associant un chorégraphe et une biologiste, nous avons expérimenté un travail corporel à partir d’un support scientifique «la formation de la coquille et ses altérations ». Pour moi biologiste, ces expérimentations vécues corporellement ont modifié profondément ma vision et ont entrainé de nouvelles interprétations, lesquelles ont impulsé de nouvelles hypothèses et donc des expérimentations différentes. Par exemple, le travail corporel m’a apporté toute une réflexion nouvelle sur la notion de variabilité dans la construction coquillière. La formation de la coquille associe des matrices organiques avec des souplesses variées et des cristaux qui s’y insèrent pour former un bio-minéral. Pour chaque espèce de mollusque, ce bio-minéral montre des structures différentes, et de plus au sein de la même espèce, en fonction de perturbations environnementales, on peut observer une forte variabilité de la calcification, associée à des modifications du support matriciel organique. Ressentir cette variabilité, c’est une expérience que j’ai pu vivre corporellement sans au préalable avoir pu l’imaginer. Ressentir corporellement comment l’impact de facteurs environnementaux peut moduler le processus de biominéralisation a été une révélation. Cette prise de conscience corporelle m’a permis d’intégrer, dans mes recherches récentes sur la plasticité et les capacités d’adaptation des animaux marins au changement climatique, d’autres point de vue de chercheurs, non seulement celui des artistes mais aussi ceux d’éthologue, sociologue et ethnographe.
Christine Paillard, 2011
Dance and biology. Why combine these two approaches? As a scientist, working on the environment in general requires more and more interdisciplinarity to try to better understand the complexity of life and its interactions. The study of this environmental complexity requires, from my point of view, also to take into account the different senses of the scientific researcher, and in particular the component that inhabits us, the body and its receptors.